• Joseph Stiglitz dénonce "le socialisme pour les riches" (2008-2010)

    "Je pense que l’administration Obama a cédé devant les pressions politiques et les épouvantails agités par les grandes banques, avec pour conséquence de faire une confusion entre le renflouage des banquiers et de leurs actionnaires et le renflouage des banques mêmes"

    "Cette nouvelle forme de capitalisme, où les pertes sont collectivisées et les gains privatisés, est vouée à l’échec"

    "Ce qui nous amène à l’autre problème posé par ces banques trop importantes pour faire faillite, trop grandes pour être restructurées : elles sont trop puissantes au plan politique."

    "En Amérique, la vénalité est d’un autre niveau. Ce ne sont pas certains juges qui sont achetés, mais les lois elles-mêmes, à travers des campagnes de dons et de lobbying, dans un contexte que l’on a fini par appeler une corruption « à l’américaine"

    "Dans l’Amérique d’aujourd’hui, la noble revendication d’une « justice pour tous » est en train de disparaître au profit d’une plus modeste « justice pour ceux qui peuvent se l’offrir ». Et le nombre de gens qui peuvent se le permettre est en chute libre."


    La justice pour certains - Novembre 2010. Extrait.

    "En Amérique, la vénalité est d’un autre niveau. Ce ne sont pas certains juges qui sont achetés, mais les lois elles-mêmes, à travers des campagnes de dons et de lobbying, dans un contexte que l’on a fini par appeler une corruption « à l’américaine ».

    La politique de prêt prédatrice des banques et des organismes de crédit était loin d’être un secret : ils ont abusé de la naïveté de personnes peu instruites et mal informées en matière de finances pour les convaincre de souscrire des crédits dont les frais étaient plus élevés, et qui en outre imposaient des risques énormes à l’emprunteur. (Il faut être juste : les banques ont aussi tenté de tirer avantage des plus fortunés, avec les titres créés par Goldman Sachs et conçus pour faillir). Mais les banques ont investi toute leur énergie politique pour empêcher que les états ne votent des lois interdisant ces pratiques prédatrices.

    (...) Les inégalités croissantes, combinées à un système biaisé de financement de campagne, risque de faire passer le système judiciaire américain pour une comédie de justice. Certains pourront encore l’appeler l’autorité de la loi, mais ce ne sera pas une autorité de loi qui protègera les faibles contre les puissants. Ce sera plutôt l’occasion pour les puissants d’exploiter les faibles.

    Dans l’Amérique d’aujourd’hui, la noble revendication d’une « justice pour tous » est en train de disparaître au profit d’une plus modeste « justice pour ceux qui peuvent se l’offrir ». Et le nombre de gens qui peuvent se le permettre est en chute libre."

     Project Syndicate

     

    Le moment est venu d'assagir le marché financier ! - Juillet 2010. Extrait.

    "Il n'y a pas si longtemps nous pouvions dire : "Nous sommes tous devenus keynésiens". Le secteur financier et son idéologie favorable à l'économie de marché avaient conduit le monde au bord de la ruine. Il avait alors semblé évident que le marché n'était pas auto-correcteur et que la dérégulation avait été un sombre échec. (...)

    Le marché financier est un maître capricieux et tyrannique. Le lendemain du jour où l'Espagne a annoncé son programme d'austérité, ses obligations chutaient. Le problème n'était pas dû à un manque de confiance dans les promesses du gouvernement, mais la certitude qu'il allait s'y tenir et que ça allait réduire la croissance et augmenter le chômage qui avait déjà atteint le taux intolérable de 20%. Autrement dit, après avoir entraîné le monde au bord de l'effondrement économique, le marché financier semble maintenant dire à des pays comme la Grèce et l'Espagne : malheur à vous si vous diminuez les dépenses, et malheur à vous si vous ne les diminuez pas !

    La finance n'est qu'un moyen, elle ne constitue pas une fin en soi ; elle est censée servir les intérêts du reste de la société, et non l'inverse. Il ne sera pas facile de faire entendre raison au marché financier, mais on peut et on doit y parvenir avec une combinaison d'impôts et de régulation - et si nécessaire avec l'intervention de l'Etat pour colmater certaines brèches, ainsi qu'il le fait déjà en ce qui concerne le crédit aux petites et moyennes entreprises. Il n'est pas étonnant que le marché ne veuille pas se laisser apprivoiser. Il apprécie la manière dont les choses ont fonctionné jusqu'à présent. Pourquoi en serait-il autrement après tout ? Dans les démocraties corrompues, il a les moyens de s'opposer au changement. Mais heureusement, les citoyens européens et américains ont perdu patience. Le processus de régulation des marchés est lancé, même s'il reste beaucoup à faire."

     Project Syndicate

     

    Re-régulation financière et démocratie - Juin 2012. Extrait.

    "La plupart de ceux qui sont responsables pour les erreurs commises – que ce soit à la Réserve Fédérale américaine, au Trésor américain, à la Banque d’Angleterre et à l’Autorité des services financiers britanniques, à la Commission Européenne et à la Banque Centrale Européenne, ou dans les banques privées - n’ont pas reconnu leurs échecs.

    Les banques qui ont semé la pagaille dans l’économie mondiale n’ont toujours pas fait ce qu’il faut faire. Pire encore, elles ont reçu le soutien de la Fed, dont on aurait pu s’attendre à un peu plus de prudence compte tenu de l’ampleur de ses erreurs passées et de sa complicité évidente à servir les intérêts de ces banques qu’elle était sensée réguler.(...)

    Comme toujours, le « diable se cache dans les détails », et les lobbies du secteur financier ont ouvré avec force afin de s’assurer que les détails des nouvelles régulations fonctionnent dans le sens des intérêts de leurs employeurs. Il faudra donc attendre longtemps avant de pouvoir juger du succès éventuel des lois que le Congrès américain serait finalement amener à promulguer.

    Mais les critères d’analyse sont clairs : la nouvelle loi doit limiter les pratiques qui ont compromis l’ensemble de l’économie mondiale, et réorienter le système financier vers ses fonctions initiales – gérer le risque, allouer le capital, accorder des crédits (surtout aux petites et moyennes entreprises), et opérer un système de rétribution efficace. (...)

    Mais les probables échecs doivent également être soulignés : le problème des banques trop-grandes-pour-échouer est désormais pire qu’avant la crise."

    Project Syndicate


    Too Big to Live, décembre 2009. Extrait.

    "Les banques trop importantes pour faire faillite ont des incitations perverses ; si elles parient, et gagnent, elles empochent les bénéfices ; si elles perdent, ce sont les contribuables qui endossent l’ardoise. (...)

    Même si nous parvenons à définir des modalités d’incitations parfaites pour les banques, ce qui n’est pas prévu, les banques continueront de représenter un gros risque. Plus la banque est importante en taille, et plus les risques qu’elle est autorisée à prendre sont importants, plus est grande la menace qu’elle constitue pour nos économies et nos sociétés."

    Project Syndicate

     

    Etats-Unis : le socialisme pour les riches - Juin 2009. Texte intégral.

    En dépit des « pousses vertes » de la reprise économique, force est de constater que les banques américaines résistent aux tentatives faites pour les réglementer. Alors que les politiciens s’étendent sur leur volonté de réformer le système pour éviter une répétition de la crise financière, ce domaine est véritablement celui où le diable se cache dans les détails – et les banques feront tout ce qui est encore en leur pouvoir pour s’assurer qu’elles pourront continuer à agir comme elles l’ont fait par le passé.

    L’ancien système était tout à l’avantage des banques (à défaut de l’être pour leurs actionnaires) – pourquoi voudraient-elles en changer ? En fait, les mesures prises pour leur venir en aide ont accordé tellement peu de place à une réflexion sur un système financier post-crise souhaitable que nous finirons pour nous retrouver avec un système bancaire moins compétitif, et ces grandes banques trop importantes pour faire faillite seront encore plus grandes qu’avant.

    Il est depuis longtemps admis que ces banques américaines trop importantes pour faire faillite étaient aussi trop importantes pour être gérées convenablement. C’est l’une des raisons pour laquelle leurs performances ont été aussi lamentables. Quand elles font faillite, le gouvernement met habituellement en œuvre une restructuration financière et garantit les dépôts, obtenant ainsi une participation dans l’avenir de l’établissement bancaire. Les autorités savent bien que si elles attendent trop pour agir, des banques zombies ou presque – avec peu ou pas de valeur nette, mais traitées comme si elles étaient des institutions viables – seront tentées de « parier sur une résurrection ». Si elles parient gros et gagnent, elles empochent les gains, et si elles perdent, le gouvernement règle l’addition.

    Nous ne parlons pas ici de théorie, mais d’une leçon apprise à grands frais, lors de la crise des Savings and Loan dans les années 1980. Lorsque le distributeur automatique bancaire affiche « fonds insuffisants », le gouvernement ne souhaite pas que ce soit la banque, plutôt que votre compte personnel, qui se retrouve insuffisamment approvisionnée et il intervient avant que les caisses soient vides. Dans le cas d’une restructuration financière, les actionnaires passent en général à la trappe et ce sont les obligataires qui deviennent les nouveaux actionnaires. Le gouvernement doit parfois contribuer des fonds supplémentaires ou un nouvel investisseur  doit être prêt à reprendre la banque en difficulté.

    L’administration Obama a elle inventé un nouveau concept : celui de la banque trop grande pour être restructurée financièrement. L’administration estime qu’une débâcle totale est probable si les règles habituelles devaient être appliquées à ces grandes banques. Les marchés paniqueraient. Nous nous retrouvons donc dans une situation où non seulement les obligataires sont intouchables, mais également les actionnaires – même si pour l’essentiel, la valeur des actions ne reflète qu’un pari sur un renflouage par le gouvernement.

    Je pense que ce point de vue est erroné. Je pense que l’administration Obama a cédé devant les pressions politiques et les épouvantails agités par les grandes banques, avec pour conséquence de faire une confusion entre le renflouage des banquiers et de leurs actionnaires et le renflouage des banques mêmes.

    Une restructuration offre l’occasion d’un nouveau départ pour les banques : les nouveaux investisseurs (que ce soit sous la forme d’une participation ou d’un instrument financier sous forme de dette) auront davantage confiance, les autres banques  hésiteront moins à leur faire crédit et elle seront elles-mêmes plus enclines à prêter. Les obligataires ont tout à gagner d’une restructuration bien pensée et si la valeur des actifs est nettement plus élevée que les marchés (et les analystes) ne le pensent, ils engrangeront tôt ou tard les dividendes.

    Ce qui est toutefois clair est que les coûts actuels et futurs de la stratégie de l’administration Obama sont très élevés – pour une stratégie qui n’a pas atteint l’objectif pourtant limité qu’est la relance du crédit. Les contribuables ont dû avancer des milliards de dollars, et d’autres milliards sous forme de garanties – des factures qui devront être réglées un jour ou l’autre.

    Réécrire les règles de l’économie de marché – sous une forme qui a essentiellement profité à ceux qui ont causé un tort énorme à toute l’économie mondiale – est pire que financièrement coûteux. La majorité des Américains perçoivent cette stratégie comme étant foncièrement injuste, surtout après avoir constaté que les banques ont utilisé les milliards destinés à relancer le crédit pour s’octroyer des primes et des dividendes exorbitants. Déchirer le contrat social n’est pas quelque chose qui peut être fait à la légère.

    Mais cette nouvelle forme de capitalisme, où les pertes sont collectivisées et les gains privatisés, est vouée à l’échec. Les incitations sont distordues. Il n’y a plus de discipline des marchés. Les banques trop importantes pour faire faillite savent qu’elles peuvent parier en toute impunité – et avec la Réserve fédérale américaine qui prête des liquidités à un taux d’intérêt proche de zéro, les fonds ne manquent pas pour parier.

    Certains ont qualifié ce nouveau régime économique de « socialisme avec des caractéristiques américaines ». Mais le socialisme se préoccupe des individus, alors que les Etats-Unis n’ont guère apporté d’aide aux millions d’Américains qui ont perdu leur maison. Les salariés qui perdent leur emploi ont droit à 39 semaines d’une allocation chômage limitée et doivent ensuite se débrouiller du mieux qu’ils peuvent. Et quand ils perdent leurs emplois, la plupart des salariés perdent aussi leur assurance maladie.

    Les Etats-Unis ont étendu leur filet de protection des entreprises à un niveau sans précédent – des banques commerciales aux banques d’investissement, puis aux assurances et aujourd’hui à l’industrie automobile et ce n’est pas fini. En vérité, il ne s’agit pas de socialisme, mais de  l’extension d’un État providence pour les entreprises qui existe depuis longtemps. Les riches et les puissants se tournent vers le gouvernement en cas de difficulté, tandis que les individus dans le besoin ne reçoivent pour ainsi dire aucune aide de l’État.

    Nous devons démanteler les banques trop importantes pour faire faillite. Il n’y a aucune raison de penser que ces mastodontes offrent des bénéfices pour la société proportionnels aux coûts qu’ils ont fait subir à autrui. Et si nous ne les démantelons pas, nous devons sérieusement limiter leurs activités. Il n’est plus possible que ces banques aient le droit de faire ce qu’elles faisaient auparavant : parier avec l’argent des autres.

    Ce qui nous amène à l’autre problème posé par ces banques trop importantes pour faire faillite, trop grandes pour être restructurées : elles sont trop puissantes au plan politique. Les pressions qu’elles ont exercées auprès de l’administration ont donné le résultat escompté, d’abord en faveur de la déréglementation, ensuite pour faire en sorte que ce soient les contribuables qui règlent l’addition. Leur espoir aujourd’hui est que cette stratégie leur permette à nouveau d’avoir les mains libres pour faire ce qui leur chante, quel que soit le coût pour les contribuables et l’économie. Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser faire.

    Project Syndicate


    Certaines banques étaient bénéficiaires au premier trimestre 2009, la plupart grâce à des tours de passe-passe comptable et à des bénéfices commerciaux (lisez : spéculation). Mais ce n’est pas ce qui va remettre l’économie sur pied au plus vite. Et si le pari est perdu, le contribuable américain devra payer un prix encore plus fort. (...)

    Comment rater la relance - Mars 2009. Extrait.

    - Repousser la restructuration des banques coûte cher, à la fois en termes d’éventuels coûts de renflouement et de dégâts causés à l’économie en général dans l’intervalle. (...)

    - On peut attendre des banquiers qu’ils agissent dans leur propre intérêt en fonction des incitations fournies. Les incitations perverses ont déclenché des prises de risque excessives, et certaines banques près de s’effondrer mais trop grosses pour faire faillite continueront dans le même créneau. Sachant que le gouvernement ramassera les morceaux si nécessaire, elles repousseront le moment de résoudre les hypothèques et verseront des milliards en bonus et dividendes.

    - Nationaliser les pertes tout en privatisant les gains est plus inquiétant que les conséquences de la nationalisation des banques. Les contribuables américains font des affaires de moins en moins intéressantes. (...)

    - Ne confondons pas le sauvetage des banquiers et des actionnaires et le sauvetage des banques. L’Amérique aurait pu sauver ses banques mais lâcher leurs actionnaires pour bien moins que ce qu’elle a dépensé. (...)"

    Project Syndicate

     

    Bailout Blues (Le goût amer du sauvetage des banques) - Septembre 2008. Extrait.

    Un consensus se dégage parmi les économistes sur l'idée qu'un plan de sauvetage basé sur le plan Paulson ne marchera pas. Dans ce cas, l'augmentation colossale de la dette de l'Etat et le fait de réaliser que même 700 milliards de dollars ne suffiront pas à tirer d'affaire l'économie américaine va l'affaiblir encore davantage et éroder plus profondément la confiance."

    Project Syndicate


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