• La crise du néolibéralisme. Gérard Duménil et Dominique Lévy

    Gérard Duménil et Diminique Levy sont à ma connaissance les plus brillants représentants des économistes français appartenant d'une façon ou d'une autre à la nébuleuse marxiste. Peu connus en France, leurs ouvrages paraissent aux Etats-Unis et ne sont pas toujours traduits. Je les classe dans la posture D car leur définition restrictive (et pertinente) du "capitalisme" font qu'ils font du dépassement de ce régime daté une possibilité pratique forte sans pour autant qu'ils n'identifient cette éventuelle avancée comme une fin de l'histoire ou l'évènement d'une société sans classe.


    "Le néolibéralisme est en crise, et il ne s'en remettra pas. (...) Le néolibéralisme est une phase du capitalisme, où il est entré à la transition des années 1970 et 1980. C'est un fait politique, dans lequel toute l'économie a été entraînée, dont l'objectif était d'accroître les revenus des classes supérieures. On peut même parler d'une « restauration », dans la mesure où les revenus de ces classes avaient été contenus au cours des premières décennies de l'après-guerre. A l'aune de cet objectif, le néolibéralisme a été un formidable succès, dans la mesure où les hauts revenus se sont énormément accrus. (...) Comme toute période de perturbation majeure, la crise actuelle crée des opportunités mais elle ne détermine, évidemment, pas les issues. L'exemple de l'entre-deux-guerres est particulièrement riche d'enseignements à ce propos. Les luttes de classes, très intenses, de ces décennies ont abouti au New Deal, au Front populaire, au nazisme…"


    "Au-delà du néolibéralisme : Trois voies alternatives :" "La troisième hégémonie financière, post-néolibérale" et "le néomanagérialisme (...) Une caractéristique commune de ces deux ordres sociaux dans les pays du centre serait l'accentuation de l'exploitation des classes populaires. Cette intensification revêtirait la forme de la diminution des pouvoirs d'achat des classes populaires, à laquelle on pourrait associer la réduction des protections sociales en matière d'emploi, de santé, de retraites et d'éducation. Dans le cas de la troisième hégémonie financière, l'objectif serait une forme de tiersmondisation des pays du centre où coexisteraient des classes supérieures richissimes et des classes populaires hyperexploitées – la reproduction sur le territoire national des processus d'exploitation au plan mondial. (...)

    Ainsi, même si l'état des luttes de classe en cette fin d'année 2011 n'incite pas à l'optimisme, on ne peut écarter l'option d'un troisième ordre social, un social-managérialisme, marquant une rupture plus radicale encore dans les hiérarchies et compromis de classe, car le compromis social y basculerait à gauche.(...)

    Bien que les rapports de classe soient maintenus, cette pression populaire viserait à leur atténuation, et au tout premier chef, à la répression des classes capitalistes, voire à leur élimination progressive, une tâche que l'ordre social de l'après-guerre n'a pas su mener à bien."

     

    La crise du néolibéralisme. Gérard Duménil et Dominique Lévy

     

    Ci dessous à lire 3 textes parus dans Actuel Marx : 

    - deux textes qui se suivent sur l'après néolibéralisme (partie 1 et partie 2)

    - une interview de 2009

     


     

    Partie 1 : "Dettes souveraines: Limites du traitement keynésien d'une crise structurelle" - 2012. Extrait.

    La thèse centrale qu'on soutiendra ici est que la rechute actuelle manifeste le caractère « structurel » de la crise, une de ces grandes phases de perturbation qui scandent l'histoire du capitalisme et le contraignent à la métamorphose tous les trente ou quarante ans. Les hésitations et conflits qui marquent actuellement la conduite des politiques face à la crise apparaissent ainsi comme l'expression de la découverte par les gouvernements et les classes dont ils défendent les intérêts, de ce caractère structurel. La résolution de telles difficultés exige des transformations profondes, dépassant très largement les politiques macroéconomiques. Elles concernent les institutions économiques, la gestion des entreprises, le rôle du secteur financier, les politiques industrielles, ou les relations internationales. Les changements requis renvoient à l'établissement de ce que nous appelons un nouvel « ordre social », en l'occurrence post-néolibéral. Ces ordres sociaux se définissent en termes de pouvoirs de classe et de compromis entre les composantes de classes supérieures, et entre celles-ci et les classes populaires. Le néolibéralisme se caractérise, en tant qu'ordre social, par l'hégémonie conjointe des classes capitalistes et des classes de cadres, surtout au plus haut des hiérarchies. Elle s'appuie sur les institutions financières, placées au service des intérêts de cette alliance au sommet. Dans l'établissement de ce nouvel ordre social il y a environ trente ans, le leadership fut assuré par les classes capitalistes. Il en découla une transformation radicale du fonctionnement du capitalisme aux plans national et international. La sortie de la crise est conditionnée par la modification de cette configuration de pouvoir. (...)

    Il est important de replacer les deux phases de la crise décrites ci-dessus sur la toile de fond dessinée par les tendances longues propres au néolibéralisme aux États-Unis et en Europe. On l'a dit, le néolibéralisme – qui vient bien des vieux centres, les principaux pôles du capitalisme dans le monde en 1980 – eut pour objectif la maximisation des pouvoirs et revenus des classes supérieures. Cette visée ne coïncide ni avec l'accumulation du capital et la croissance sur les territoires nationaux, ni avec l'innovation technique (autre que financière). On ne saurait répéter ici les analyses présentées dans notre livre consacré à la crise. Nous y montrons, dans le cas des États-Unis, comment la transformation des modes de gestion et de financement conduisit à un étouffement des processus d'accumulation du capital sur le territoire national, dont une des manifestations les plus évidentes fut le processus de désindustrialisation. L'accumulation physique de moyens de production (bâtiments, machines, matériel informatique) ne fit que se ralentir jusqu'aux niveaux très bas d'avant la crise.

    (...) La thèse centrale mise ici en avant est qu'on peut interpréter la crise des dettes souveraines comme l'effet de l'application de procédés keynésiens à une crise structurelle dont, par nature, la sortie requiert des transformations beaucoup plus profondes. Il n'est pas impossible de prolonger quelque peu le « sursis keynésien », mais il est impossible de rattraper le temps perdu. Ces lenteurs laissent présager la survenue de nouveaux épisodes de la crise. (...)

    Quatre ans ont déjà été perdus durant lesquels aucun changement majeur n'a été effectué. De manière assez schématique, on peut distinguer deux grands courants concernant les manières d'envisager la sortie de crise, toutes deux au bénéfice des classes supérieures. Le premier se définit par les traits suivants :

    1. Le retour rapide à l'équilibre budgétaire. Les mesures d'austérité actuelles en définissent le premier volet. Le discours est ici celui de l'orthodoxie financière, relayé par l'argumentaire populiste comparant le budget d'un État à celui d'un ménage, qui ne saurait dépenser plus que son revenu ou, du moins, s'endetter abusivement. Les tenants de cette ligne sont hostiles aux impôts qu'ils souhaitent voir baisser ; si des hausses sont inévitables, ils préfèrent les impôts indirects et rejettent la progressivité en fonction des revenus des ménages. Dans ce domaine de la fiscalité, les intérêts de classe sont évidents. Mais ces mêmes intérêts sont également engagés de manière plus subtile concernant le financement de la dette publique. Les classes supérieures tirent des revenus considérables des dettes publiques dont elles ont alimenté la croissance cumulative par des taux d'intérêt réels très élevés entre 1980 et 2000. Elles continuent à le faire et les différentiels de taux d'intérêt imposés aux États en difficulté ajoutent à ces revenus. Ces classes s'alarment, pourtant, de la poursuite de ce mouvement jusqu'à des niveaux où les capacités de remboursement sont menacées. Elles savent aussi que les périodes de très fort endettement des États (pendant ou après les crises ou, surtout, les guerres) dans le passé, ont conduit à des vagues d'inflation massives où elles perdirent bien des plumes.
    2. Également en marche est l'intensification des pressions sur les classes populaires en matière de travail, de revenus, de protection sociale et d'éducation. La propagande se fonde ici sur le discours usuel, qui veut que l'enrichissement des riches et la rentabilité des entreprises soient générateurs d'emplois et de progrès, alors que toute l'histoire du néolibéralisme fait précisément la démonstration du contraire. Cette argumentation se réclame impudemment de la conservation des profits dans les entreprises en vue de l'investissement sur le territoire national comme dans les premières décennies de l'après-guerre, alors que la baisse des salaires de la grande masse des salariés n'a servi qu'à augmenter les profits et les salaires les plus élevés. (...)
    3. La défense de politiques anti-étatiques. Ce troisième élément renvoie d'abord à la lenteur des processus de réglementation initiés après le choc de 2008, notamment financière. Le discours est bien connu. C'est celui de l'efficience des marchés et de leur autodiscipline, repris même par une partie des Démocrates états-uniens. La formulation populiste joue sur les rigidités paralysantes et le gaspillage propres à la bureaucratie. Ce premier courant privilégie des formes d'auto-organisation. Par exemple, en matière financière, les seules bonnes règles sont les règles consensuelles auto-administrées, comme dans des ratios de bilan de banques des accords de Bâle ; l'expression « politique industrielle » est proscrite. Si l'intervention étatique est rejetée, elle coule de source lorsque les intérêts directs de ces classes sont menacés, comme on l'a vu dans les crises de 2008 et 2011. Le slogan est familier : « privatisation des gains et socialisation des pertes ». L'État n'intervient pas quand nous, les classes supérieures, allons bien, si ce n'est dans le sens de nouvelles améliorations de notre situation ; il vole à notre secours quand nous allons mal. L'intervention étatique ainsi canalisée et orientée a donc encore de beaux jours devant elle. Elle se prolonge dans l'octroi de subventions maquillées, par exemple, sous le couvert de commandes militaires, et dans la revendication possible de la protection et du soutien de certains segments du système productif au nom d'une concurrence déloyale ou d'une menace sur la sécurité nationale, réelles ou imaginaires, de la part de certains pays. Les politiques d'austérité prônées par ce courant, combinées aux réticences face aux réglementations financières, sont soumises au risque de leurs conséquences : le plongeon dans une nouvelle récession, lui-même générateur de déficits budgétaires, de pertes pour les entreprises et du risque de l'intensification des luttes sociales liées à la montée du chômage. Ces risques sont peut-être mal perçus par certains du fait d'une croyance béate dans les bienfaits des recettes ci-dessus. Ils peuvent être aussi « calculés » de la part de fractions plus cyniques, sachant que les Droites ont traditionnellement considéré les crises comme des périodes d'apurement nécessaires (notamment entre 1929 et 1933 aux États-Unis sous la présidence de Herbert Hoover). Et il ne fait guère de doute qu'un nouveau plongeon de la production pourrait jouer un rôle de levier dans l'obtention de nouvelles concessions de la part des classes populaires. Mais le choix du pire est dangereux. Le volet relatif à la politique internationale est particulièrement inquiétant. On peut redouter l'affirmation d'un nationalisme régressif, potentiellement agressif. L'histoire nous apprend qu'un tel nationalisme fait partie du même patrimoine politique de la Droite.


    Un second courant témoigne d'une attitude plus keynésienne.
    (Aux États-Unis, on peut citer des économistes comme Joseph Stiglitz, Paul Krugman, Christina Romer, certains des dirigeants de la Réserve fédérale et certaines fractions du Parti démocrate.) Ses traits fondamentaux sont les suivants :
    1. La pondération entre les objectifs de contrôle des déficits et de maintien de l'activité. Les tenants de ce second courant sont « conscients » du conflit entre les divers objectifs : la résorption des déficits, la nécessité d'éviter la récession et de lutter contre le chômage. On leur doit, aux États-Unis, la prise en charge par la Réserve Fédérale d'une partie de la croissance de la dette publique. (...)
    2. La volonté de partager les charges créées par la crise. Ce courant met en avant la hausse des impôts des hauts revenus et la dénonciation des excès de certaines rémunérations, notamment au sommet de la pyramide « salariale ». Les salaires (et autres bonus et primes) du haut des hiérarchies de ce secteur financier peuvent d'autant plus être jugés excessifs, que les autres catégories de cadres des secteurs privés et publics n'y ont pas accès. La baisse des revenus du capital n'effraye pas et peut même être jugée nécessaire, même si la propriété capitaliste n'est, évidemment, pas mise en question.
    3. La réglementation et le rôle accru de l'État. Ce courant juge que des barrières doivent être placées aux excès financiers, ceux des institutions financières et des classes privilégiées. Ses tenants sont conscients que le redressement de l'économie nationale passe par une politique active du gouvernement et ne saurait être laissé aux dits « marchés ». Des formes de politiques industrielles sont explicitement envisagées, notamment en faveur de la green economy.

    Il va de soi que ces options, séparées ici entre deux courants, laissent la place à de multiples formes d'hybridation selon les intérêts particuliers. Les frontières se déplacent avec le temps. Le cours des transformations sous-jacentes aux quatre années du sursis keynésien doit se comprendre à travers cette grille de lecture. Les classes supérieures sont clivées, et ces tiraillements font obstacle au mouvement. Aux États-Unis, les quelques années de l'administration Obama ont vu se succéder des conjonctures politiques dont la première semblait favoriser la seconde voie, mais le balancier s'est déplacé en faveur de la première, surtout depuis la perte de la majorité par les Démocrates aux élections de mi-mandat. Les politiques budgétaires sont attaquées radicalement avec l'aide des « marchés », dont l'arme est la hausse des taux d'intérêt (encouragée par les agences de notation) ; la pression sur les classes populaires s'accentue grâce au chômage ; les réglementations tardent à se manifester et les politiques industrielles sont laissées de côté. Le second courant tempère la mise en place des options du premier, mais il ne possède pas les moyens de la mise en oeuvre des ses propres politiques. D'où l'immobilisme régnant. (...)

    En Europe, l'éventail des options politiques est fondamentalement similaire, mais il apparaît avec moins de netteté. La situation se complique, en effet, de la forme particulière prise par la crise des dettes des États. Du fait de la multiplicité des États, la dette européenne n'a pas le caractère massif et simple qu'elle possède aux États-Unis. La crise des dettes en Europe sape graduellement les racines de l'union, selon un mécanisme d'encerclement à partir des périphéries. Ainsi, le caractère insoutenable des trajectoires néolibérales n'est-il pas vécu en tant que tel, alors que l'attention se focalise sur le prétendu manque de rigueur de la gestion de certains pays. La nature du véritable dilemme qui sous-tend les options des courants étatsuniens est occultée, comme si l'Allemagne (par son excédent commercial et une certaine modération du déficit budgétaire) avait fait la preuve de la soutenabilité des voies néolibérales. La Grèce est stigmatisée car sa situation pourrait être interprétée comme la démonstration du contraire. Reste donc à prouver que tout tient à la mauvaise gestion du pays et rien aux règles néolibérales. Un tout autre regard est porté sur l'Irlande, paradis néolibéral déchu. Mais la crise gagne vers le centre. L'Europe, balance actuellement, entre l'éclatement de la zone euro et le renforcement de sa gouvernance centrale, « néolibérale », et sous hégémonie allemande, cela va sans dire.
    (...)



    Partie 2 : "Crise et horizons post-néolibéraux" - 2012 

    Au-delà du néolibéralisme : Trois voies alternatives

    1.La troisième hégémonie financière, post-néolibérale. Du fait de la poursuite de l'hégémonie financière, on pourrait définir cette première voie comme la continuation du néolibéralisme, mais le terme « néolibéralisme » qui fait déjà problème dans la référence aux trente années auxquelles il s'applique, deviendrait de plus en plus inapproprié. La poursuite de cette hégémonie s'accommoderait de nouvelles avancées de l'intervention étatique. Une préférence forte s'établirait en faveur des formes de gouvernance extradémocratiques, où le leadership capitaliste devrait s'exprimer fortement (par exemple, dans la définition des objectifs des banques centrales, comme c'est déjà le cas dans le néolibéralisme). De nombreuses pratiques manifesteraient des caractères « auto-disciplinaires ». On peut songer, par exemple, à la substitution de procédures encadrées par les institutions boursières aux transactions de gré à gré, ou aux progrès de certaines formes d'auto-réglementation comme dans les règles de Bâle relatives aux structures des bilans des banques. On peut également concevoir certaines restrictions aux activités des institutions permettant l'évasion fiscale, comme les paradis fiscaux, ou le développement de politiques industrielles. Bien entendu, l'établissement de formes de coordination au plan international ouvre un volet d'importance majeure (comme dans les collaborations entre les banques centrales).

    2. Le néomanagérialisme. Cette voie passe par le renforcement du pouvoir des cadres, assurant un leadership en alliance avec les classes capitalistes. Les hiérarchies de revenus sont redéfinies, impliquant certaines limitations à ceux du capital. Le rôle des institutions de caractère étatique est considérablement renforcé et les modes de gestion des entreprises sont modifiés. Les formes de gouvernance extradémocratiques sont favorisées, comme ci-dessus dans la nouvelle hégémonie financière (deux hégémonies des classes supérieures), mais le rôle directeur appartient aux cadres (par exemple, dans la définition d'objectifs de croissance). La portée de la rerèglementation est beaucoup plus considérable, notamment concernant les mécanismes financiers ; la possibilité de politiques industrielles plus ambitieuses est ouverte. Les caractères de cette société restent fortement marqués par les hiérarchies de classe et les dynamiques sociales tendent activement à leur perpétuation. Pour les classes capitalistes, le glissement vers le néomanagérialisme, politiquement à droite, est un moindre mal, un sursis, à l'opposé d'itinéraires politiquement orientés à gauche. L'alliance de droite, sous le leadership cadriste, leur ouvre la porte de leur propre mutation conformément aux transformations des rapports de production. Mais elle ne saurait, cependant, remédier à leur déclin relatif en tant que classes de propriétaires des moyens de production.

    Une caractéristique commune de ces deux ordres sociaux dans les pays du centre serait l'accentuation de l'exploitation des classes populaires. Cette intensification revêtirait la forme de la diminution des pouvoirs d'achat des classes populaires, à laquelle on pourrait associer la réduction des protections sociales en matière d'emploi, de santé, de retraites et d'éducation. Dans le cas de la troisième hégémonie financière, l'objectif serait une forme de tiersmondisation des pays du centre où coexisteraient des classes supérieures richissimes et des classes populaires hyperexploitées – la reproduction sur le territoire national des processus d'exploitation au plan mondial. (...)

    3. Un compromis à gauche. Les résistances au néolibéralisme n'ont jamais cessé et ont souvent contribué à en ralentir les avancées, suscitant, à chaque fois, l'espoir d'un renouveau. On ne tentera pas ici d'en dresser le bilan. Les analyses précédentes font, pourtant, peu de cas des luttes des classes populaires. Elles reposent sur l'hypothèse que, dans les pays capitalistes avancés et dans les périphéries, le traumatisme qu'a représenté l'échec du mouvement ouvrier se réclamant du socialisme et du communisme ne sera pas surmonté rapidement. La « fin des utopies » fut un des leviers idéologiques de l'offensive néolibérale – où certains identifient une « fin de l'histoire ». Il faut, évidemment, souhaiter que nos sociétés retrouvent ce chemin de l'émancipation, et, même, tenter modestement d'y contribuer. Une tout autre conjoncture serait alors créée. Car c'est bien de cela dont il s'agit, redonner aux luttes un horizon politique au-delà de l'amnésie historique et des déclarations de bonnes intentions. Les conditions d'un tel réveil sont, à la fois, économiques et politiques. Il est difficile de prédire à quels désordres une nouvelle hégémonie de la Finance pourrait conduire et d'anticiper sur les effets de crises à répétition concernant une éventuelle politisation à gauche des classes populaires. Quel rôle certaines fractions des classes de cadres pourraient-elles alors jouer ? Les classes populaires des périphéries sont-elles porteuses de plus grands espoirs qui s'ajouteraient à ceux du centre ? Ainsi, même si l'état des luttes de classe en cette fin d'année 2011 n'incite pas à l'optimisme, on ne peut écarter l'option d'un troisième ordre social, un social-managérialisme, marquant une rupture plus radicale encore dans les hiérarchies et compromis de classe, car le compromis social y basculerait à gauche. Cependant, il s'agirait toujours d'un ordre social de classe, dominé par les cadres. Les fractions gestionnaires traditionnelles, ou techniciennes et scientifiques, y joueraient un rôle prépondérant aux côtés des cadres des institutions étatiques ; on peut pronostiquer que les cadres financiers entreraient à reculons dans de telles configurations, car leurs pouvoirs et intérêts exorbitants dans le néolibéralisme seraient remis en question. Cette voie, comme la social-démocratie qu'elle prolonge, reposerait sur l'alliance entre cadres et classes populaires sous la poussée de ces dernières, garantes de la poursuite de ces trajectoires par les cadres à l'opposé des sirènes du néomanagérialisme ou d'une troisième hégémonie financière. Bien que les rapports de classe soient maintenus, cette pression populaire viserait à leur atténuation, et au tout premier chef, à la répression des classes capitalistes, voire à leur élimination progressive, une tâche que l'ordre social de l'après-guerre n'a pas su mener à bien.
    Les implications politiques de ces interprétations sont considérables et dépassent les limites de la présente étude. Émancipation (de gauche) et organisation (managériale) se conjuguent sur les voies du social-managérialisme, mais il faut être conscient des risques inhérents à l'amalgame entre ces deux aspects comme deux inséparables facettes d'un même « socialisme ». L'économique (supposé déterminant) et l'organisation qu'il promeut ne produisent pas spontanément l'émancipation, c'est pourquoi il peut exister un managérialisme (un cadrisme), de toute manière une société de classe, de droite (le néomanagérialisme). La configuration de gauche du managérialisme, un cadrisme qui ne s'opposerait pas frontalement à l'émancipation des classes populaires mais serait susceptible d'y contribuer, ne peut être que le produit des luttes des classes populaires.

    (...) Cette grille de lecture conduit aux appréciations suivantes des assises des courants actuels dans les structures de classe :
    - Le premier courant renvoie directement aux classes capitalistes et aux fractions des cadres qui leur sont le plus directement liées, les cadres du haut des hiérarchies et les cadres financiers. De manière plus dynamique, la crispation se fait par rapport à la crainte des alternatives impliquant potentiellement les classes populaires. Ce courant est clairement
    annonciateur des formes de la troisième hégémonie financière.
    - Le second courant manifeste certaines tendances « cadristes », dans des formes modérées et sans se dégager des ambiguïtés propres aux cadres, susceptibles de jouer un rôle directeur dans le néomanagérialisme ou le social-managérialisme. Cette double potentialité est ici cruciale et témoigne d'une ambiguïté fondamentale sous-jacente aux courants se réclamant du keynésianisme en général, en dernière analyse, à l'image de la position intermédiaire des cadres dans le capito-cadrisme. Ce courant prône une intervention étatique forte ; il met également en avant « un certain degré » de répression financière ; ces deux arbitrages sont des expressions du rôle potentiel directeur des cadres dans les deux ordres sociaux, la différence étant ici inscrite dans ces « degrés ». Ce courant plaide également pour la préservation de la situation des classes populaires, en matières de revenus, de protection sociale, d'emploi, etc., et cherche donc une certaine ouverture vers ces classes ; cette inclination témoigne des potentialités propres au leadership des cadres dans le social-managérialisme et de la modération possible du néomanagérialisme à cet égard (relativement à la violence de la troisième hégémonie financière). D'autres propositions comme la réduction des revenus des riches ou leur taxation sont compatibles avec les deux options, tout étant affaire, ici également, de degré. L'aspect dynamique est important car les tenants de cette voie médiane, confrontés aux exigences des classes capitalistes et aux risques ainsi encourus par l'ensemble de la société, devraient se déterminer face à des choix embarrassants face à des situations de radicalisation des luttes sociales. Si la confrontation s'opérait avec le premier courant, les tenants de ce second courant pencheraient, sans doute, dans la direction de l'alliance avec les classes populaires. Mais dans l'hypothèse de la radicalisation des luttes populaires, on pourrait pronostiquer un repli de leur part en direction de l'alliance néomanagériale entre cadres et capitalistes, sous le leadership des cadres.

    (...) Le diagnostic porté sur la situation actuelle des États-Unis et l'analyse des potentialités des ordres sociaux alternatifs susceptibles de succéder au néolibéralisme nous a conduit à formuler la thèse suivante, qui tient en deux propositions : (1) La dimension des tâches à accomplir dans ce pays est telle qu'une reprise en main vigoureuse est nécessaire ; (2) Seule la voie néomanagériale serait susceptible de relever le défi. Mais le constat réalisé à la section précédente concernant la gestation d'ordres sociaux potentiels aux États-Unis suggère un tableau particulièrement négatif des forces sociales susceptibles d'introduire à une telle remontée du pouvoir des cadres, notamment de ceux du centre. C'est un filet de voix qui nous parvient depuis de l'aile gauche du Parti démocrate et de la part de quelques économistes keynésiens. L'analyse des fondements de classe sous-jacents à ces courants a bien fait surgir quelques aspects révélateurs d'une volonté d'action de cadres motivés par la reprise en main d'une situation catastrophique. Mais on a également souligné les ambiguïtés des positions de classe de ce courant, dont l'expression ultime est une forme d'indétermination des options politiques, balançant entre les alliances à droite ou à gauche. On en perçoit mal l'écho dans la population. Quelles que soient les ambiguïtés de sa démarche et les contraintes, le Président Obama semble se diriger vers une nouvelle alliance sous hégémonie financière. Si l'on rassemble ces observations – le tableau des hésitations propres aux élites d'un courant keynésien, ses incertitudes de classe et la faiblesse du mouvement populaire – les chances d'un nouveau leadership des cadres que requerrait la situation semblent faibles, même au bénéfice d'une alliance à droite. Dans notre livre consacré à la crise, nous avons soutenu la thèse de la possibilité, en fait de la nécessité d'un point de vue états-unien, d'un « sursaut national », supportant la transition du leadership capitaliste vers une reprise en main néomanagériale, elle seule pouvant permettre aux États-Unis de ralentir l'affaiblissement de leur hégémonie : un nouveau cours d'efficience est requis pour garantir une hégémonie internationale, même partagée. Ses conditions sont politiques, c'est-à-dire s'analysent dans le champ des rapports de classe. Le ressort en serait le nationalisme. Mais le symétrique est également vrai de l'autre côté du Pacifique, où le facteur national est un élément clef du débat social au sein des élites et anime l'ensemble de la population. Là, ce facteur a, clairement, déjà changé le cours de l'histoire. La Chine saura-t-elle préserver la conduite de son économie sans que ses classes supérieures cèdent aux charmes du néolibéralisme, comme en Russie ou, dans des circonstances différentes, au Japon ? Un tel sursaut national se produira-t-il aux États-Unis ? De ces options dépendra la nouvelle face du monde.



    La crise du néolibéralisme - 2009. Extrait à la hache.

    La fin  du néolibéralisme :

    Le numéro 40 d'Actuel Marx (second semestre 2006) que nous avions coordonné s'intitulait « Fin du néolibéralisme ? ». Il contenait, en effet, un ensemble d'exposés relatifs à la nature, les contradictions et l'avenir du néolibéralisme. En ce qui nous concerne, ce n'était pas le premier exposé que nous donnions de la nature de ce phénomène, un thème central de notre recherche depuis le milieu des années 1990.

    Pouvait-on pronostiquer la fin du néolibéralisme ? Poser la question, c'était déjà manifester la conscience du caractère nécessairement borné dans le temps de cette phase de l'histoire du capitalisme, mais aucun des contributeurs de ce numéro de la revue n'avait, à proprement parler, prévu les modalités d'une telle fin, ni sa rapidité ni sa violence. Mais, enfin, nous y sommes, le néolibéralisme est en crise, et il ne s'en remettra pas.

    Le néolibéralisme est une phase du capitalisme, où il est entré à la transition des années 1970 et 1980. C'est un fait politique, dans lequel toute l'économie a été entraînée, dont l'objectif était d'accroître les revenus des classes supérieures. On peut même parler d'une « restauration », dans la mesure où les revenus de ces classes avaient été contenus au cours des premières décennies de l'après-guerre. A l'aune de cet objectif, le néolibéralisme a été un formidable succès, dans la mesure où les hauts revenus se sont énormément accrus. C'est un fait de notoriété commune, le néolibéralisme a été à l'origine d'une augmentation spectaculaire des inégalités, aux États-Unis, en Europe, et dans la périphérie.

    Les moyens employés sont assez familiers. Une nouvelle discipline a été imposée aux travailleurs : des conditions de travail plus dure, une stagnation (ou régression) du pouvoir d'achat, une érosion des systèmes de protection sociale... Les entreprises ont été gérées dans l'intérêt exclusif des actionnaires. Jusqu'en 2000, les taux d'intérêt sont restés très supérieurs à la hausse des prix. Les politiques visaient au strict contrôle de l'inflation, bien davantage qu'au plein emploi. Les mécanismes financiers ont fait l'objet d'une déréglementation sauvage. Le libre échange a été imposé par les gouvernements, ainsi que la libre circulation internationale des capitaux, permettant le déploiement des sociétés transnationales tout autour de la planète. Ces deux derniers aspects constituent ce qu'il est convenu d'appeler « la mondialisation néolibérale ».

     

    La lutte des classes

    (...) Dans la mise en place du néolibéralisme, les classes capitalisme ont assuré un certain leadership. Nous appelons « Finance », les fractions supérieures des classes capitalistes et les grandes institutions financières. C'est cette finance qui a conduit la lutte pour l'affirmation de l'ordre néolibéral. Mais rien n'aurait été possible sans la collaboration des classes de cadres, en particulier les cadres financiers, qui sont graduellement devenues un acteur primordial du changement, dans ce que nous appelons le « compromis néolibéral ». Encore une fois, il faudrait faire ici mention de différences notables selon les pays. Par exemple, pour des raisons historiques, cette adhésion a été plus lente en France qu'aux États-Unis.

    (...) Tout part de la vision ternaire des structures de classes : capitalistes, cadres et classes populaires (employés et ouvriers). Nous appelons « ordre social » une configuration des pouvoirs de classe, dominations et compromis. Un premier critère est la localisation du compromis : entre les classes capitalistes et les cadres, ou entre ces derniers et les classes populaires. Dans le premier cas, le compromis s'établit vers la Droite ; dans le second, vers la Gauche. Le compromis néolibéral s'analyse donc comme un compromis à Droite, et celui de l'après-guerre, comme un compromis à Gauche. On peut croiser ce premier critère à un second. Dans chacun des cas, quelle classe du compromis assume le leadership ? Par exemple, dans le néolibéralisme, les classes capitalistes ont joué un rôle dirigeant. On parlera de compromis « à Droite ». On ne peut exclure un tel compromis vers la droite sous direction des cadres, un ordre social de « Centre-Droite ». Symétriquement, on peut désigner le compromis entre cadres et classes populaires comme étant de « Centre-Gauche » si les classes de cadres assument le leadership, comme ce fut le cas après la Seconde Guerre mondiale. Une direction populaire signifierait un compromis véritablement de Gauche.

     

    La crise économique actuelle

    (...) En commençant à la fin du XIXe siècle, on peut distinguer quatre crises structurelles : les années 1890, 1929 et les années 1930, les années 1970 et la crise actuelle. Deux de ces crises peuvent être imputées à des phases de baisse du taux de profit, la première et la troisième, mais pas la crise de 1929 ni la crise actuelle. Dans ces deux derniers cas, le taux de profit entrait dans des phases de rétablissement, encore peu accentuées d'ailleurs. Ces deux crises ont en commun de faire suite à des périodes d'« hégémonie financière », c'est-à-dire des phases où les classes capitalistes (supportées par le pouvoir de leurs institutions financières) dominaient sans partage ou presque. La première hégémonie financière fut celle de la nouvelle grande bourgeoisie du début du XXe siècle, ayant largement délégué les tâches de gestion aux cadres (l'effet de la révolution managériale) et supportée par le nouveau système financier. La seconde hégémonie financière fut le néolibéralisme. Dans les deux cas, ces ordres sociaux furent interrompus par des crises caractérisées par la destruction d’une grande partie du système financier et une très forte baisse de la production.

    Les mécanismes propres des crises d'hégémonie sont distincts de ceux d'une crise de rentabilité. Ces crises sont l'expression du caractère insoutenable de pratiques conduisant à la levée de toutes barrières à l'extension de la domination capitaliste et à l'enrichissement sans borne de ces classes. C'est le point commun entre 1929 et la crise actuelle. Du point de vue de leurs assises sociales, la différence principale entre les deux crises d'hégémonie est le rôle accru joué par les fractions supérieures des classes de cadres.

    (...) Dire qu'un pays, comme les États-Unis, dépense plus que son revenu, signifie qu'il importe plus qu'il exporte et que, corrélativement, le reste du monde « lui fait crédit ». Nous préférons dire que le reste du monde « finance » l'économie états-unienne, car ce support financier peut revêtir la forme de prêts, mais aussi d'achat d'actions émises par une société du pays. Du point de vue des agents états-uniens, dépenser plus que leur revenu suppose qu'ils s'endettent. L'endettement externe (financement) et interne sont les deux faces d'un même processus. La conséquence en est que les maîtrises de l’endettement interne et du déficit extérieur vont de pair.

    Le contrôle de la dette interne requiert celui du déficit extérieur. Comment y parvenir ? Par le protectionnisme, mais c'est alors le système des grandes sociétés transnationales états-uniennes, pilier de l'hégémonie du pays, qui est en péril. En devenant meilleur exportateur ? Il faudrait alors une prompte révolution de la gestion néolibérale des entreprises, combinée à une politique industrielle très efficace.

    Peut-on, à l'inverse, laisser filer les dettes interne et externe comme ça a été le cas mais, cette fois, en en maîtrisant les risques ? Existe-t-il une autre façon, moins dangereuse d'endetter les ménages ? Peut-on laisser croître la dette publique ? Très difficile. Et les autres pays vont-ils continuer de financer les États-Unis ?

    Dans tous les cas, il n'y aura pas de préservation, à long terme, de la domination états-unienne sans une « reterritorialisation » de la production, c'est-à-dire une nouvelle dynamique de la production locale. Est-ce compatible avec les options néolibérales ? L'administration Obama rêve d'un grand boom des technologies propres, évocateur de celui des nouvelles technologies de l'information. « Refaire le néolibéralisme qui a fonctionné, celui de la seconde moitié des années 1990 », il suffisait d'y penser. Mais un boom technologique ne se décrète pas. Il faudrait, prendre de l'avance sur les autres pays et la préserver à plus long terme. Parvenir à la mettre sur les rails serait déjà un tour de force.

    (...) De nombreuses mesures protectionnistes, par exemple limitant les investissements directs des étrangers aux États-Unis, ont déjà été prises au nom de la « sécurité nationale ». On peut penser que ces tendances vont se prolonger. La course contre la montre entre une excellence économique et le protectionnisme est engagée. Il est difficile de prévoir quelle en sera l'issue. Mais le coût du protectionnisme pour les sociétés transnationales états-uniennes serait tel qu'il semble difficile d'envisager une volonté tendant à un rétablissement ouvert et franc de barrières commerciales.

    Concernant le reste du monde, celui qui s'est engagé dans la division internationale du travail — un cadre profondément impérialiste —, le coût, à court terme du protectionnisme, serait considérable. Il faudrait sortir les économies nationales des trajectoires sur lesquelles elles sont engagées. Nous avons évoqué l'exemple des modèles d'industrialisation de substitution d'importation, davantage autocentrés, mis place en Amérique Latine après la crise de 1929. Au plan normatif, et non plus analytique, nous pensons que c'est la voie sur laquelle la périphérie devrait s'engager, mais dans des cadres de « régionalisation », parlant de régions du monde. Les autonomies sont à reconquérir mais pas au bénéfice du repli. Néanmoins, le démontage de la globalisation néolibérale apparaît urgentissime.

     

    L'après néo-libéralisme

    Il est très difficile d'imaginer que les options néolibérales pourraient être prolongées. La domination capitaliste, comme dans les deux périodes d’hégémonies financières conduit à l'exacerbation incontrôlable des pratiques tendant à la maximisation des hauts revenus. La nécessité d'un encadrement se fait sentir. Et, dans le cas de l'économie états-unienne, l'ampleur des tâches à accomplir pour éviter un effondrement trop rapide de l'hégémonie internationale du pays, rendent un tel encadrement encore plus nécessaire. Mais dans la typologie des ordres sociaux, deux possibilités sont ouvertes. Une option est, certes, le compromis de « Centre-Gauche » sous hégémonie des cadres, comme dans l'après-guerre, mais il ne faut pas oublier l'autre option, le compromis vers la Droite, moyennant un changement d'hégémonie. Celle-ci passerait des classes capitalistes vers les cadres, le compromis de « Centre-Droit ». Cela donnerait une société et une économie dans lesquelles les institutions financières seraient contrôlées et les intérêts de classes capitalistes contenus par des règles et des politiques, ce qui marquerait une rupture avec le néolibéralisme, mais les traits spécifiques d'une alliance de Droite seraient maintenus, notamment la concentration du revenus au sommet de la hiérarchie. Quel serait le sort des classes populaires ? Probablement, guère meilleur que celui qu’elles ont subi pendant trente ans de néolibéralisme !

    La prévalence de l'une ou l'autre option se déterminera à la rencontre des simples exigences économiques et des visées impérialistes (la préservation de la primauté du pays), d'une part, et des luttes sociales, d'autre part. Quelle sera la résistance des classes capitalistes face à la fin de leur leadership ? De quelle flexibilité feront-elles preuves pour entrer dans un nouveau compromis où leur position ne serait plus dominante ? Et surtout qu'elle sera la vigueur des luttes sociales susceptibles d'imposer un nouveau compromis vers la Gauche ? Et avec quelle radicalité ?

    (...) Comme toute période de perturbation majeure, la crise actuelle crée des opportunités mais elle ne détermine, évidemment, pas les issues. L'exemple de l'entre-deux-guerres est particulièrement riche d'enseignements à ce propos. Les luttes de classes, très intenses, de ces décennies ont abouti au New Deal, au Front populaire, au nazisme…

    Aux plans nationaux, la lutte des classes populaires doit se saisir de l'occasion créée par les tensions au sein des classes supérieures. Contenir les intérêts des classes capitalistes ou les très hauts salaires peut pousser les gouvernements à chercher l'appui des classes populaires. Le Président Obama ne pourra pas mener à bien les transformations nécessaires sans cet appui, et les mesures sociales de son programme (en matière de santé notamment) montrent qu'il est conscient de cette exigence. Mais on comprend aisément que tout est affaire de degré et que la situation est instable (réversible). C'est aux classes populaires de pousser dans la bonne direction. La situation est différente dans un pays comme la France, avec un gouvernement représentant directement les intérêts qui ont supporté le néolibéralisme et une Gauche « éligible » qui s'y est ralliée. La nécessité de la lutte n'est pas moindre.

    Au plan international, l'émergence d'un monde multipolaire crée également d'importantes possibilités. Comme dans le cas de l'après-guerre, il existe un lien entre les options ouvertes aux sociétés de chaque pays vers tel ou tel ordre social et les hiérarchies internationales. La bipolarité du monde impérial de l'après-guerre fut un facteur fondamental de l'émancipation des pays de la périphérie, comme en témoigne la conférence de Bandung. La multipolarité en voie de formation dans le monde actuel peut avoir des effets similaires. Mais, encore une fois, tout est affaire de luttes.

    Dans un tel contexte s'ouvre la possibilité d'une nouvelle différenciation des ordres sociaux dans les différents pays du monde, notamment la périphérie. Dit trivialement, cela signifie que certains pays pourraient progresser dans des options « social-démocrates », comme certains ont commencé à le faire en Amérique Latine en résistance au néolibéralisme, alors que d'autres poursuivraient une trajectoire de Droite. Dans un monde multipolaire, il y a davantage de place pour une diversité politique et cela ouvre des possibilités aux peuples du monde en quête d'émancipation.

    Dans Actuel Marx

     


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