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  • François Ruffin : "mon documentaire est un... by Europe1fr

     

    Lettre ouverte à Jean-Michel Aphatie : quel rôle choisirez-vous ? par François Ruffin, mardi 23 février 2016

    L’annulation de l’invitation de François Ruffin sur Europe 1 à l’occasion de la sortie du film Merci Patron ! a suscité une vague de protestations. La direction d’Europe 1 a fait machine arrière : François Ruffin sera reçu par Jean-Michel Aphatie mercredi 24 février à 12h45.

    Le réalisateur de Merci Patron ! a rédigé, à cette occasion, une lettre ouverte à Jean-Michel Aphatie, que nous reproduisons sur notre site (Acrimed).

    Cher Jean-Michel Apathie,

    C’est donc sur vous que c’est tombé.
    La censure était trop voyante : « Europe 1 nous interdit de recevoir François Ruffin » (dixit Frédéric Taddéi), le scandale grossissait. Pour rattraper le coup, votre hiérarchie vous a donc demandé de vous transformer en critique ciné. Et de me recevoir, ce mercredi, à 12h45.

    Vous êtes en train de découvrir « Merci patron ! »
    J’espère que ça vous plait, que vous rigolez bien.

    Faux-cul, votre direction a déclaré à Ozap : « La nature polémique du film nécessite la présence d’un contradicteur pour instaurer un véritable débat. »
    Ce sera donc vous le contradicteur.
    Le porte-parole de l’homme le plus riche de France, ce sera vous.
    L’avocat de Bernard Arnault, de LVMH, du premier groupe de luxe au monde, vous.

    Nul doute que ce rôle vous convienne.
    Défenseur de l’oligarchie, des Jérôme Cahuzac et compagnie, vous savez faire.
    Aboyeur, même, si nécessaire, c’est dans vos cordes.
    « Vous mettez votre plume au service des puissants », comme l’avait dénoncé à votre sujet Eva Joly.

    Mais j’ai cette faiblesse : je crois en l’Homme.
    En vous aussi.
    Je crois que, pour un quart d’heure au moins, vous pouvez montrer un autre visage, plus de courage. Vous souvenir du jeune journaliste, moins conformiste, que vous étiez. Je viens comme un secours, ranimer ce qu’il y a de meilleur en vous-même.
    Amen.

    Autant vous avertir :
    Pour sauver votre âme, je ne viendrai pas seul, mais avec une caméra et un micro. Avec un copain minuteur, également. Pour mesurer, sur les quinze minutes, quel temps de parole m’est réellement accordé.
    Je viens de visionner cette vidéo, datée du 7 novembre 2007, où vous interrogiez alors Bernard Arnault sur RTL. Le PDG n’est, pour le moins, pas trop chahuté. Vous lui posez sept questions en 7’22’’. Avec, soyons précis (il faut être précis dans la vie), 1’36’’ de temps de parole pour vous, présentation comprise, et le reste, 5’46’’ pour votre interlocuteur – soit 21,7% pour vous, et 78,3% pour lui. Bref, vous ne l’interrompez pas trop et il peut dérouler tranquillement son argumentaire.
    Nul doute que vous me réserverez le même traitement.

    Je vous préviens de tout cela, car je veux vous placer devant un dilemme :
    Soit répondre aux consignes de votre direction, et jouer le « chien de garde » comme décrit ci-dessus.
    Soit m’accorder dix minutes de liberté.
    Dix minutes seulement, mais dix minutes quand même.
    Après ces dix minutes, je sais que, plus jamais, de toute ma carrière, je ne serai invité sur « radio Lagardère ».
    Mais il restera ces dix minutes, pour vous et pour moi.
    Tel un kamikaze des ondes, je viens pour commettre un attentat radiophonique.

    Alors, suspense : quel rôle choisirez-vous ?
    J’espère qu’ensemble nous allons vivre un beau moment.

    Très fakirement,

    François Ruffin


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  • L'intégralité de l'article ici : http://www.inegalites.fr/spip.php?page=article&id_article=2118

    La gauche « moderne » ignore les classes laborieuses ; elles lui rendent dans les urnes la monnaie de sa pièce. Voilà qui permet de comprendre la poussée du Front national, bien plus que la peur des étrangers dont la part dans la population (6,4 %) est inférieure à ce qu’elle était en 1982. L’incrédulité des dirigeants socialistes devant leur impuissance à endiguer la montée du parti d’extrême droite a une raison simple : ils ne comprennent plus rien à la société française.(...)

    Tout irait bien si cette gauche embourgeoisée pouvait s’affranchir du pouvoir de nuisance des classes populaires, prendre ses congés, manger bio et choisir la bonne école pour ses enfants tranquillement. Elle a même théorisé son divorce avec le monde ouvrier devenu conservateur, selon la fondation Terra Nova (« Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 », Bruno Jeanbart et Olivier Ferrand, 2011). Malheureusement pour elle, les catégories populaires sont nombreuses : 14 % seulement de la population adulte disposent d’un niveau de diplôme supérieur à bac + 2, la moitié des actifs sont employés ou ouvriers. Nous sommes en démocratie et elles continuent à voter. Même si elles s’abstiennent davantage, leur poids est tel dans l’électorat que l’on ne peut faire sans elles. Lionel Jospin cherchait encore à la fin des années 1990 à « réconcilier les classes moyennes et populaires » ; aujourd’hui, la gauche dirigeante veut faire l’alliance des couches aisées et des classes moyennes dites « supérieures », 20 % des électeurs en comptant large.

    Résultat, le Parti socialiste se désintègre : un électeur sur dix a voté pour lui au premier tour des dernières régionales. Les électeurs se détournent des partis politiques en général qui n’ont que faire des catégories populaires. La seule organisation qui produise un discours de classe fort est le Front national, en s’appuyant sur la démagogie et la xénophobie. (...)

    Comment défendre les catégories populaires sans utiliser l’arme de la démagogie ? Ces catégories n’ont pas davantage à gagner à la « dictature de prolétariat » et au renversement du capitalisme qu’on leur promet à l’autre extrême. Divisée, engoncée dans un discours révolutionnaire, l’extrême gauche ne peut que rester ultra minoritaire. Les Verts s’intéressent plus à leur panier bio qu’aux ouvriers. De son côté, la droite, plutôt que de partir à la reconquête d’un électorat populaire avec des propositions sociales, s’est fait piéger par la gauche qui lui a volé sa politique. Ses ténors font l’erreur de se lancer dans la surenchère. Le Front national comble ce vide sidéral. « Nos sociétés ne sont pas sans classes, mais sans discours de classe articulant, de manière nouvelle, une explication théorique de ces inégalités à un projet politique de transformation sociale, crédible et vérifiable », expliquait le sociologue Claude Dubar [2]. Tout est dit. Reste à savoir qui est prêt à rénover le projet social démocrate.


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  • Jacques Bidet nous rappelle ici que la racine du mal est le néo-libéralisme. Le "front républicain" est une pure manipulation.
     
    Les partis d’extrême-droite de l’Europe d’aujourd’hui, en effet, ne sont pas des néofascismes. (...)
    [Le FN] n’arbore de préoccupations sociales que dans le registre irréel de l’utopie électorale, tant son accession au pouvoir gouvernemental relève de l’improbable. Il ne concrétisera jamais que les mesures régressives à la portée de ses emprises locales. Il joue pourtant un rôle national.

    Au-delà de la gangrène qu’il génère l’espace politique avoisinant, il fournit aux puissants de quoi retourner les ressentiments de classe à leur égard en haine de l’allogène supposé submerger le territoire. Cette haine étant publiquement rejetée comme immorale et de ce fait politiquement incorrecte, le Fhaine est mis au ban de la République. C’est ainsi que les partis gouvernants, à travers les médias qu’ils contrôlent, ont suscité le mal absolu, un simili- fascisme, dont le fantasme leur permet de faire oublier le rôle qui est le leur : celui d’agents du néolibéralisme.

     

    En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/12/11/fn-au-neoliberalisme-correspond-un-neopopulisme_4830014_3232.html#JROZBiyvWYE62DYZ.99
     
     

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  • Les vieilles idées d’Emmanuel Macron - Bruno Amable dans Libération, le 16 Novembre 2015

    Extrait :

    "Emmanuel Macron fait de grands efforts de communication pour soigner son image de décideur public jeune et dynamique cherchant à moderniser un pays engoncé dans un carcan d’institutions surannées et paralysé par les égoïsmes catégoriels ; un peu (beaucoup) comme Valéry Giscard d’Estaing au siècle dernier. (...)

    Ce n’est pas l’indigence du discours d’Emmanuel Macron qui importe, c’est l’éventuelle réussite de sa stratégie : faire émerger les forces politiques qui mettront en œuvre une transformation néolibérale (au moins partielle) de l’économie française en prenant appui sur un bloc social articulé autour de classes moyennes qualifiées, le bloc bourgeois. (...)

    En rompant avec une catégorie sociale centrale du bloc de gauche, Macron envoie en direction des partis de droite un signal de crédibilité de sa stratégie de rupture d’avec ce bloc et de sa volonté d’une nouvelle alliance politique s’appuyant sur le bloc bourgeois. Une fois les groupes sociaux de gauche enfin décrochés (les boulets), le PS sera bien obligé de s’allier avec une partie de la droite. Et le vieux fantasme d’une union de la «gauche de la droite» avec la «droite de la gauche» deviendra réalité. L’objectif politique d’Emmanuel Macron n’est pas plus original que ses déclarations."

    Lire la suite...


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  • Extraits du texte : http://russeurope.hypotheses.org/4352

    Cette perte de souveraineté a été progressive, et c’est probablement pour cela qu’elle a tardé à se manifester. Aujourd’hui, l’accumulation de petits renoncements, de petites soumissions, a induit un véritable changement qualitatif. Cette perte de souveraineté ne se fait pas au profit d’un Etat particulier, mais au système bureaucratique qui s’est mis en place à travers l’Union européenne, de Bruxelles à Francfort. Elle est devenue évidente avec les événements de l’état 2015 en Grèce qui ont montré aux yeux de tous quelle était la véritable nature des institutions européennes et pourquoi ces dernières sont radicalement incompatibles avec toute forme de démocratie. Bien des yeux se sont dessillés à cette occasion. On comprend aussi que cette perte de souveraineté ne peut que favoriser le glissement, désormais de plus en plus rapide, vers un Etat collusif, prélude à la mise en place d’un Etat réactionnaire. Mais, cette perte de souveraineté peut aussi conduire à la guerre civile, qui sera alors l’occasion rêvée qu’attendent certains pour mettre en place cet Etat réactionnaire. (...)

    La refondation de l’ordre démocratique est aujourd’hui, ici et maintenant, la seule démarche qui soit porteuse d’avenir et de paix civile. C’est la perspective qui apporte le plus de garanties au maintien d’une société qui soit relativement pacifiée et en conséquences, stabilisée. C’est pourquoi, aujourd’hui, la défense de l’ordre démocratique et de ses fondements, la souveraineté et la laïcité, prend la dimension d’un impératif catégorique. (...)

    Mais, cette refondation peut imposer ou impliquer des éléments de populisme. Pour combattre la tendance spontanée des bureaucraties à produire des lois sans se soucier de leurs légitimités, le recours à des éléments de légitimité charismatique s’impose. C’est le sens de la réintroduction, sur des questions essentielles, des procédures référendaires qui relèvent en partie de cette forme de légitimité. Surtout, il convient de se rappeler que les pouvoirs dictatoriaux, dans leur sens initial et non dans le sens vulgaire qu’a pris le mot de « dictature », font partie de l’ordre démocratique. Il ne faudra donc pas que notre main tremble, que l’action de tous soit interrompue, quand se posera la question de l’abrogation de lois prises dans des conditions certes légales mais entièrement illégitimes.

    La boussole en ces temps incertains devra être comme toujours la défense de la souveraineté de la Nation, et le rassemblement autour de son souverain, c’est à dire le peuple. La nature de ce dernier est en effet claire. Elle est toute entière dans cette magnifique formule héritée de la Révolution Française qui dit que la démocratie est le gouvernement « du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Mais il convient d’affirmer que le peuple est conçu comme un ensemble politique soudé autour du bien commun, soit de la Res Publica. C’est cela, et cela seul, qui sera notre viatique pour affronter les tempêtes à venir.


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    Nous présentons les extraits de la polémique, puis l'intégralité de la magnifique analyse d'Alexandre Tsara. Ce dernier est un citoyen éclairé ayant laissé un long commentaire argumenté sur le blog de Frédéric Lordon.

     

    1. Les analyses de Sapir suscitant la polémique :


    Jacques Sapir : "A terme, la question de la... par franceinter

     

    "A terme, la question des relations avec le Front National, ou avec le parti issu de ce dernier, sera posée. Il faut comprendre que très clairement, l’heure n’est plus au sectarisme et aux interdictions de séjours prononcées par les uns comme par les autres. La question de la virginité politique, question qui semble tellement obséder les gens de gauche, s’apparente à celle de la virginité biologique en cela qu’elle ne se pose qu’une seule fois. Même si, et c’est tout à fait normal, chaque mouvement, chaque parti, entend garder ses spécificités, il faudra un minimum de coordination pour que l’on puisse certes marcher séparément mais frapper ensemble. C’est la condition sine qua non de futurs succès."

    Jacques Sapir, Réflexions sur la Grèce et l’Europe, le 21 août

     

    "La troisième question qu’il faudra régler concerne à l’évidence la superficie de ce « front » et ses formes de constitution. De très nombreuses formules peuvent être imaginées, allant de la coordination implicite (pacte implicite de non agression) à des formes plus explicites de coopération. Rappelons ici que lors de l’élection présidentielle de 1981 les militants du RPR ont collé des affiches de François Mitterrand…On ne peut chérir éternellement les causes des maux dont on se lamente et, à un moment donné, la logique de la vie politique voudra que soit on sera pour la sortie de l’Euro soit on sera pour conserver l’Euro. Il n’y aura pas, alors, de troisième voie.

    Il est évident que ces diverses formes d’ailleurs ne s’opposent pas mais peuvent se compléter dans un arc-en-ciel allant de la coopération explicite à la coordination implicite. Mais on voit bien, aussi, qu’à terme sera posée la question de la présence, ou non, dans ce « front » du Front National ou du parti qui en sera issu et il ne sert à rien de se le cacher. Cette question ne peut être tranchée aujourd’hui. Mais il faut savoir qu’elle sera posée et que les adversaires de l’Euro ne pourront pas l’esquiver éternellement. Elle impliquera donc de suivre avec attention les évolutions futures que pourraient connaître ce parti et de les aborder sans concessions mais aussi sans sectarisme.

    Du point de vue des formes que pourraient prendre ce « front, la formule « marcher séparément et frapper ensemble » me semble la mieux adaptée. Ceci n’épuise pas – et de loin – la question de la superficie du « front ». Il faudra vérifier la possibilité de détacher du Parti « socialiste » certains de ses morceaux, vérifier aussi la possibilité de pouvoir compter avec des dissidents de l’UMP et des souverainistes issus des partis indépendants (et on note avec satisfaction les discussions entre Nicolas Dupont-Aignan et Jean-Pierre Chevènement). Il faudra enfin, et ce n’est pas la moindre des taches, unifier la gauche radicale. Ces diverses taches n’ont plus été à l’ordre du jour depuis 1945 dans notre pays. La perte d’expérience est ici considérable, les réflexes sectaires sont largement présents mais, surtout, la prégnance d’une idéologie moralisante se faisant passer pour de la politique constitue le principal obstacle, et la force principale de nos adversaires.

    Les raisons de potentiels désaccords seront extrêmement importantes dans ce « front », s’il se constitue. Mais, la véritable question est de savoir si les femmes et les hommes qui composeront ce « front » sauront dépasser leurs désaccords, quels qu’ils puissent être et aussi justifiés puissent-ils être, pour comprendre que l’objectif de sortie de l’Euro, avec tout ce qu’il implique (et que je ne rappelle pas) impose de mettre provisoirement ces désaccords de côté. C’est à cette aune là que nous verrons si le camp des forces anti-Euro est capable d’affronter les taches de la période."

    Jacques Sapir, Sur la logique des “fronts”, le 23 août 2015

     

    "Le rejet de l’Euro ne suffit pas. Il faut qu’il y ait un accord, au moins implicite, sur les mesures qui seront prises par la suite. Car, si l’Euro est aujourd’hui un problème politique son démantèlement implique une dimension technique évidente, et ces mesures techniques ne pourront être mises en œuvre que sur la base d’un accord politique général. C’est la raison pour laquelle j’ai explicitement fait référence au Conseil National de la Résistance, car dans ce cas il était clair que l’objectif ne pouvait être la seule libération du territoire du joug nazi.

    Cela implique clairement l’abandon pour tout parti qui prendre place dans ce « front » de toute référence à la « préférence nationale » hors, bien entendu, des secteurs régaliens ou nul ne la met en cause. L’idée de préférence nationale, hors le domaine des professions particulières (liées aux fonctions régaliennes de l’Etat qui incluent la sécurité, la justice et l’Education), est en réalité inconstitutionnelle si on regarde le préambule de la Constitution[6]. Il en va de même pour les droits que l’on appelle « sociaux » et qui sont la contrepartie de contributions des salariés et des employeurs. La raison conjoncturelle, liée à l’objectif du « front », est que, dans une logique de sortie de l’Euro, les mécanismes de retour à l’emploi doivent pouvoir jouer sans obstacle. Très concrètement, et au-delà des raisons principielles telles qu’elles sont exposées dans le préambule de la constitution, toute segmentation du marché du travail sous la forme de l’application de la « préférence nationale » conduirait à des pressions inflationnistes importantes qui pourraient compromettre les effets positifs attendus de la sortie de l’Euro.

    C’est l’une des raisons pour lesquelles la participation du Front National à ce « front » n’est pas aujourd’hui envisageable, alors que celle du mouvement politique de Nicolas Dupont-Aignan, Debout la France, l’est pleinement. Mais, cela veut aussi dire qu’il faut être attentif aux évolutions politiques des uns et des autres et, en fonction de ces évolutions, être prêts à reconsidérer la question de la participation de tel ou tel parti ou mouvement à ce « front ». Ceci, d’ailleurs, vaut tout autant pour des fractions du Parti « Socialiste », si elles abandonnaient leur attachement religieux à l’Euro, et qui seraient naturellement partie prenante d’un tel « front »."

    Jacques Sapir, A nouveau sur les “fronts”, le 27 août

     

    2. La (triste) contribution de Frédéric Lordon :

    "Que dire quand ce sont certains des avocats mêmes de la sortie de l’euro qui ajoutent au désordre intellectuel et, identifiés à gauche, en viennent à plaider d’invraisemblables alliances avec l’extrême-droite ? (...)

    Si la sortie de l’euro a à voir avec la restauration de la souveraineté, peu importe de quelle souveraineté l’on parle. Et en avant pour le front indifférencié de « tous les souverainistes ». Nicolas Dupont-Aignan est « souverainiste » : il est donc des nôtres. Et puis après tout Marine Le Pen aussi, ne le dit-elle pas assez. Alors, logiquement, pourquoi pas ? Car voilà la tare majeure du mono-idéisme : il est conséquent sans entraves. Il suivra sa logique unique jusqu’où elle l’emmènera par déploiement nécessaire des conséquences qui suivent de la prémisse unique. Peu importe où puisque, l’Idée posée, on ne peut qu’avoir confiance dans la logique qui, ancillaire et neutre, vient simplement lui faire rendre tout ce qu’elle porte.

    On l’a compris puisque la chose entre dans son concept même : le mono-idéisme suppose l’effacement radical de toutes les considérations latérales – de tout ce qui n’appartient pas à son Idée. Que, par exemple, le Front national – ses errances idéologiques en matière de doctrine économique et sociale l’attestent assez – ait pour seul ciment véritable d’être un parti raciste, que la xénophobie soit l’unique ressort de sa vitalité, la chose ne sera pas considérée par le souverainisme de la sortie de l’euro quand il se fait mono-idéisme. Puisque la Cause, c’est la sortie de l’euro, et que rien d’autre n’existe vraiment. On envisagera donc l’âme claire de faire cause commune avec un parti raciste parce que « raciste » est une qualité qui n’est pas perçue, et qui ne compte pas, du point de vue de la Cause. Voilà comment, de l’« union des républicains des deux bords », en passant par « le front de tous les souverainistes », on se retrouve à envisager le compagnonnage avec le Front national : par logique – mais d’une logique qui devient folle quand elle n’a plus à travailler que le matériau de l’Idée unique.

    Il faut avoir tout cédé à une idée despotique pour que quelqu’un comme Jacques Sapir, qui connaît bien l’histoire, ait à ce point perdu tout sens de l’histoire. Car la période est à coup sûr historique, et l’histoire nous jugera. Si l’on reconnaît les crises historiques à leur puissance de brouillage et à leur pouvoir de déstabilisation – des croyances et des clivages établis –, nul doute que nous y sommes. Nous vivons l’époque de toutes les confusions : celle de la social-démocratie réduite à l’état de débris libéral, celle au moins aussi grave de révoltes de gauche ne se trouvant plus que des voies d’extrême-droite. Or on ne survit au trouble captieux de la confusion qu’en étant sûr de ce qu’on pense, en sachant où on est, et en tenant la ligne avec une rigueur de fer. Car en matière de dévoiement politique comme en toute autre, il n’y a que le premier pas qui coûte – et qui, franchi, appelle irrésistiblement tous les suivants. C’est pourquoi l’« union de tous les souverainistes » mène fatalement à l’alliance avec l’extrême-droite.

    C’est pourtant une fatalité résistible : il suffit de ne pas y mettre le doigt – car sinon, nous le savons maintenant à de trop nombreux témoignages, c’est le bonhomme entier qui y passe immanquablement. (...)"

    Frédéric Lordon, Clarté, le 26 août 2015

     

     

    3. Réponse d'Alexandre Tsara au texte de Lordon

     

    Monsieur,

    Je prends régulièrement plaisir à vous lire. Vous me semblez être un des rares et stimulants économistes de notre époque et vos articles sont précis, ciselés et convaincants, notamment en matière économique. Cependant un tel article me déçoit beaucoup de votre part. Non seulement je ne suis pas en accord avec vos conclusions sans nuances mais votre analyse est biaisée et souffre même de faiblesses méthodologiques. Je vais m’atteler à reprendre point par point votre argumentation afin d’en révéler les approximations et les omissions. Approximations et omissions qui, bien sûr, vont dans le sens de votre démonstration.

     

    1) "Le FN, ce terrible fléau, cette bénédiction"

    Que le FN serve d’épouvantail aux deux partis dominants est une analyse juste mais tout à fait convenue. Le FN joue au niveau électoral le rôle du fascisme sur le plan idéologique : le démon. La menace toujours mortelle et menaçante. Que les deux partis dominants se jouent du FN afin de mieux se maintenir au pouvoir, il faudrait être un grand naïf pour en douter. Les premiers à avoir instrumentalisé le FN sont les socialistes, sous Mitterrand. Je ne vous apprendrai rien dans ce domaine que vous ne sachiez déjà. En revanche vous allez beaucoup plus loin, vous déduisez de cette posture d’épouvantail une complicité, comme une alliance objective entre les deux partis de pouvoir et le FN. Voilà un développement argumentatif qui aurait mérité plus ample développement ! D’une part il est une différence entre instrumentaliser un parti comme négatif politique et idéologique (ce qui suppose que l’on a pas intérêt à ce qu’il parvienne au pouvoir ou menace le jeu d’alternance des deux partis en place) et en faire un instrument dont la venue au pouvoir ou l’accroissement excessif ne serait pas redouté. En l’occurrence, je rejoins sans problème l’idée que le PS a tout intérêt à ce que le FN constitue une troisième force politique, capable d’affaiblir la droite et donc de faciliter la venue au pouvoir de la gauche.

    En revanche le passage du FN de la troisième à la deuxième position voire même la première non seulement affaiblit la droite mais bouscule le jeu installé du parlementarisme de notre Vème République fondé sur l’alternance entre deux partis recentrés, l’un en majorité, l’autre en opposition. Un FN très fort (comme c’est le cas aujourd’hui) met à mal ce confortable jeu de chaises tournantes. La gauche comme la droite s’en trouvent menacés. En un certain sens la stratégie adoptée par Mitterrand est allé bien au delà de ses espérances. Dans un deuxième temps je vous ferai remarqué qu’être l’épouvantail d’un échiquier politique n’induit pas une complicité entre l’épouvantail et les forces installées. Du moins pas forcément. Durant plusieurs décennies en Italie, entre les années 50 et les années 80-90, le Parti Communiste fut, pour le reste de la classe politique, l’épouvantail. Face au péril (réel ou fantasmé) du communisme, la DC et ses alliés ont adopté une stratégie de verrouillage des institutions, ceci avec les socialistes, dans la lignée de la tradition du Connubio. Exactement la stratégie de nos deux partis jusqu’à peu. En Italie les choses allèrent même encore plus loin avec la stratégie de la Tension qui visait à décrédibiliser le parti communiste, ceci en manipulant les néo-fascistes. Peut-on en déduire que le Parti communiste fut l’allié objectif voire même le complice de la droite italienne et lui en faire porter la responsabilité ? Donnez-moi donc votre avis sur la chose. C’est pourtant ce que vous faites concernant le Front National. C’est pour le moins très léger et peu convainquant.

     

    2) "Des signifiants disputés"

    Sans doute la partie la plus envolée et la plus stimulante intellectuellement de votre contribution. Et pourtant ici encore on peut trouver des failles inquiétantes dans votre argumentations.
    Vous commencez par intégrer le PS à un ensemble appelé la "Droite générale". Quelle est-elle ? Si l’on se base sur d’autres interventions de votre part on pourrait penser que vous considérez de droite les mouvements politiques libéraux. Le distinguo que vous établissez semble donc s’effectuer dans le champs de la pensée économique. Soit.
    Cependant quelques lignes plus bas vous rompez avec ces premières lignes et, passant de la question économique à la question des référents de valeurs, vous dressez une opposition aussi caricaturale qu’idéelle entre deux conceptions de la nation que vous essentialisez et absolutisez. Opposer le modèle républicain, avec son universalisme comme horizon d’idéalité et sa conception subjectivisée de l’appartenance à une nation au modèle anti-républicain de la nation comme entité organique et objectivisée est tout à fait juste, mais demeure un peu primaire, un peu "brut" délivré comme tel. Ce sont des concepts-types. Vous avez choisi, sciemment, de ne citer que deux expressions extrêmes de ces théories. Pire, vous vous permettez de mettre sur le même plan deux théories de la Nation qu’un siècle sépare. Sans prendre la peine minimale de restituer le contexte général, intellectuel et politique de l’émission de l’une et l’autre. Vous mettez ici la déontologie de l’historien à rude épreuve. Sauf à tomber dans l’instrumentalisation politicienne ou dans la polémique, toute réflexion sérieuse se doit de considérer un concept non comme un objet parfaitement autonome mais comme une production située dans le temps et l’espace.

    Or, et ceci me dérange vraiment dans votre article, à aucun moment vous ne prenez soin de rendre compte des transformations, bouleversements et recompositions des champs intellectuels et politiques français à la fin du XIXème siècle entre l’affaire Boulanger et la Grande Guerre. A cette occasion, les marqueurs identitaires de ce qui fait la gauche et de ce qui fait la droite se transforme en partie (bien que pas totalement). La pensée de Maurras se situe à ce moment, celui où une nouvelle droite émerge et réinvestit un concept surtout utilisé par la gauche. Tandis qu’à la gauche l’internationalisme se propage. Vous pouvez penser qu’une filiation directe lie les contre-révolutionnaires à Maurras, suivant en cela les travaux de l’historien Zeev Sternhell. Mais dans ce cas pourquoi ne pas citer plutôt Herder ou Burke plutôt que Maurras ? Hors le rapport traditionnaliste des contre-révolutionnaires à la nation n’induit pas nécessairement une posture défensive et aggressive, du fait de la place très importante du christianisme et de son message dans leurs écrits. Un siècle plus tard les maurrassiens sont catholiques par raison plus que de coeur. Vous négligez la capacité des objets Gauche et Droite à se redéfinir,se redéployer dans une relation dialectique d’opposition. Et vous le faites afin de présenter une image, mythique, de deux entités pures et absolument antinomiques et ceci depuis la Révolution française. Une lecture aussi tranchée que peu fondée historiquement barre la route à tout dialogue.

    Précisément, la Révolution française tient dans vos propos une place importante. Je pense que vous avez raison d’y voir l’acte de naissance de la France politique moderne (ceci ne rentrant pas en contradiction avec les lignes précédentes). Ceci dit vous ne rendez compte que d’une certaine vision, un certain discours. Première difficulté : la vision de Robespierre peut-elle être considérée comme celle de tous les révolutionnaires de l’époque ? On observe qu’à côté de cette vision de la Nation tournée vers l’avenir étaient présents des stratégies de légitimation qui tout à l’inverse reposaient sur des mythèmes identitaires, bien loin d’un discours révolutionnaire "de gauche" que vous simplifiez au possible. Ainsi le pamphlet de l’abbé Siéyès "Qu’est-ce que le Tiers-Etat" justifiait-il l’exclusion de la Nation des nobles sur une dichotomie de race entre ces derniers et le Tiers-Etat. Les nobles seraient descendants des francs et les hommes du Tiers descendraient des Gaulois. Mieux, Siéyès justifie cette démarche d’exclusion sur la nécessité des Gaulois de redevenir maîtres sur "leurs" terres au nom de l’antériorité de l’arrivée des Gaulois sur celle des Francs. Voilà bien une argumentation qui n’est pas sans rappeler Maurras et celle des identitaires actuels ! Et n’allez pas me dire que Siéyès ne fut pas révolutionnaire. Sans être ni montagnard ni robespierriste il fut conventionnel et régicide. Vous le voyez votre présentation antinomique de deux définitions de la Nation, quasi éternelles, relève bien plus d’une reconstruction habile de votre part que d’un constat rigoureux historiquement. Les choses sont comme bien souvent beaucoup plus complexes et nuancées.

    Par ailleurs on observe un décalage entre les discours les pratiques. Votre présentation de la vision de Robespierre est séduisante. Mais elle masque une autre réalité. Cette nation française en pleine naissance a dû lutter durement contre ses ennemis pour s’affirmer, s’imposer. Toute Révolution est guerre d’indépendance. Et là on retrouve la dichotomie Ami/Ennemi structurante et étudiée par Carl Schmitt. En 1794, en guerre face au reste de l’Europe, la France vit dans un climat xénophobe. On est bien loin de l’idéal universel que vous citez. On oppose le sans-culotte bien français et viril au contre-révolutionnaire efféminé et cosmopolite. Le cosmopolitisme est combattu comme contre-révolutionnaire. De même ordre est donné (il ne sera jamais appliqué) aux armées de mettre à mort les prisonniers de guerre anglais. Les révolutionnaires étrangers comme Anacharsis Cloots passent à la guillotine tandis que les montagnards constituent globalement le groupe dominant. L’historienne Sophie Wahnich a consacré une étude à ce paradoxe de la situation de l’étranger sous la Révolution : "L’impossible citoyen". Je vous invite vivement à lire ce livre majeur si vous ne l’avez déjà fait. Il met le doigt sur les apories d’un modèle qui joue tout à la fois sur le réinvestissement de religiosité autour du concept de Nation et sur l’horizon d’idéalité de ce même concept et donc sa dissolution annoncée.

     

    3) "Misère du mono-idéisme"

    Pour moi la partie la plus faible de votre billet. Somme toute vous construisez de toute pièce un concept verbiageux pour rendre compte de quelque chose d’assez banal en politique : le réalisme. Soit la capacité de hiérarchiser les problèmes et les solutions qui s’imposent pour les résoudre. Somme toute, dès lors que la politique se définit en premier lieu comme l’art de définir l’ennemi (mais peut-être n’êtes-vous pas schmittien), il s’agit de hiérarchiser les dangers. Vous voyez du fétichisme là où il n’a pas lieu d’être. Les accords de la gauche sur les politiques libérales menées par l’Europe ne s’expliquent pas par ce biais mais bien plutôt par un réalisme de type gestionnaire qui les pousse à accepter les lois iniques d’un système non démocratique par peur de l’effondrement d’un système qui les fait vivre. Gauche et Droite se sont convertis au libéralisme et donc à l’Europe sur les ruines des idéologies alternatives du XXème siècle. Ils sont incapables de penser l’alternative. Pire, pour eux cet effondrement d’une structure politique équivaudrait à un retour à une forme d’état de nature entre les nations. Ils s’allient donc contre l’ennemi commun : la transformation radicale des modalités de réglementation et de domination politique. Votre concept de mono-idéisme est assez peu convainquant.

    Dans votre deuxième sous-partie de cette partie vous placez sur le même plan Nicolas Dupont-Aignan et le Front National. Voici qui est bien curieux. Votre dualisme extrême vous oblige à ignorer la pluralité des droites existantes en France. Notamment ici vous oubliez un fait essentiel et structurant dans la vie politique française et ceci depuis bien longtemps : l’existence d’une droite gaulliste. Certes les débats furent vifs sur ce point entre René Rémond et Zeev Sternhell mais mettre dans le même sac les enfants de Maurras et ceux de De Gaulle relève d’un curieux numéro d’équilibriste. La conception de la Nation chez les gaullistes est plus proche de celle des fils de Robespierre. On peut même se demander si se n’est pas la droite qui est passée à gauche en acceptant la République, le jeu parlementaire et l’héritage de la Révolution. Ceci à la fin du XIXème siècle, reléguant la droite précédente dans les marges d’une droite radicale extra-parlementaire.
    Toujours est-il que mettre sur le même plan Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan est une manœuvre grossière. Dans un entretien récent l’historien Michel Winock rappelait la filiation idéologique différente et même opposée de ces deux personnalités politiques.

    Et justement tout ce que vous reprochez au Front National ce n’est pas un point précis de son programme, non, vous appuyez sur le fait qu’il est "raciste", reprenant ici les critiques les plus stériles du personnel politique opposé au Front National. Stratégiquement, votre accusation n’est plus très efficace... Et même si l’on choisit de s’y attarder un peu on constate que vous traitez le Front National, dans tout votre article d’ailleurs, comme un bloc homogène. C’est tenir peu de cas des tensions multiples qui traversent ce partis en ce moment. Tensions qui le rendent tout à fait incapable de prétendre gérer un pays tant les modalités de réglementations des conflits dans ce conflits reposent sur un pur rapport de force familial. Bien entendu il serait aventureux de penser que le FN a totalement changé. Cependant l’arrivée de nombreux souverainistes de gauche avec Philippot ainsi que de profils comme celui du gaulliste Paul Marie-Couteaux (depuis éliminé) semble indiquer que plusieurs familles aux héritages divers cohabitent dans cette grosse PME familiale assez attrape-tout qu’est devenu le FN. Permettez-moi de prendre un exemple que je trouve révélateur. Lors de la Manif pour Tous le FN est parti en ordre dispersé. Au fond toute une partie de ce parti a refusé de s’opposer au mariage pour tous tandis que l’autre partie (derrière Marion Maréchal Le Pen) a choisi de s’y opposer vivement. Clairement à cette occasion les fractures internes ont été mises à jour.

    Or, je pense que pourriez en convenir, un parti héritier de Maurras et des valeurs portées par sa tradition, aurait lutté de toutes ses forces contre un tel projet de loi. On observe depuis quelques années d’ailleurs un mécontentement croissant des milieux liés au FN à l’ancienne. Pour eux le parti est passé "à gauche". Ainsi, le FN ne met-il pas en avant les thèmes chers aux identitaires tel que le Grand Remplacement, la défense de la Civilisation... Stratégie me répondrez-vous ? De la part de Marine Le Pen peut-être, mais il semble plus compliqué d’imaginer Florian Philippot, au vu de ses engagements passés et de sa vie, comme un maurassien identitaire dissimulé. Au fond deux voies semblent s’offrir à ce parti : celle de Marion et celle de Florian, avec Marine comme maîtresse de maison distribuant les points et infléchissant son discours au gré des situations.
    Votre analyse me paraît donc ici aussi bien faible. L’opprobre que vous jeté sur les gaullistes souverainiste de droite est non seulement infondé mais mensonger au regard de l’histoire. Quant à Jacques Sapir, au fond il n’a jamais parlé que de liens possibles dans l’avenir avec le FN sur certaines questions tout en précisant que cela dépendait de la voie que prendrait ce parti. Ceci n’engage que peu et reconnaissons que la perspective d’une recomposition du FN autour de Philippot dans une filiation crypto-gaulliste, sans être très vraisemblable, n’est pas impossible.

     

    4) "Le jugement de l’histoire"

    Ici votre argumentation repose d’avantage sur des présomptions et des incantations que sur une analyse apaisée de la situation. Tout d’abord vous nous présentez comme une fatalité le passage d’un individu à l’extrême-droite et ceci définitivement dès lors qu’il commence à dialoguer avec elle. "Fatalité résistible", fondée sur de "trop nombreux nombreux témoignages" dite-vous. Peut-être pensez vous à l’ouvrage de Philippe Burrin sur la dérive fasciste et à ses protagonistes : Déat, Doriot et Bergery. Certes, mais ce n’est nullement une fatalité. Je vais vous citer quelques noms d’hommes d’extrême-gauche ayant dialogué avec l’extrême-droite et qui n’ont pas succombé à la "tentation" si je puis dire voire même de ceux qui sont passés à l’extrême-droite puis sont revenus à l’extrême-gauche.

    En 1911 fut fondé le Cercle Proudhon qui a permis à des socialistes révolutionnaires (Georges Sorel, Édouard Berth => son disciple) de dialoguer avec des maurrassiens de l’Action française. L’histoire de ce cercle est méconnue mais elle est pourtant éclairante. Sorel et Berth ne sont pas pour autant tombé dans le maurrassisme loin de là puisqu’ils ont plus tard salué la Révolution bolchevique. Signe qu’on peut dialoguer avec d’authentiques membres de la droite radicale (et Maurras en était un) sans se renier Monsieur Lordon. Exemple plus frappant encore ! Celui de Georges Valois. Anarchiste dans sa jeunesse, il adhère ensuite à l’Action française puis fonde en 1926 le premier parti fasciste de France : le Faisceau. Dans les années 1930 il retourne à gauche et se rapproche de Marceau Pivert, le leader de l’aile gauche de la SFIO (proche de certains trotskistes). Georges Valois est mort dans un camp de concentration nazi en 1945, comme tant d’autres héros morts pour la France. Dernier exemple : Paul Nizan. Dans les années 20 il adhère à l’Action française puis se rapproche du Faisceau de Georges Valois. A l’époque il admire le fascisme italien. Pourtant dans les années 1930 il devient membre du Parti Communiste et écrit son célébre livre sur les Chiens de garde. Son passé fasciste est moins connu de nos jours.
    Tous ces exemples Monsieur pour bien montrer qu’il n’y a aucune fatalité à chuter et à rester à l’extrême-droite quand on dialogue avec elle. Vous pouvez donc dormir sur vos deux oreilles Monsieur Lordon, Monsieur Jacques Sapir n’est pas condamné à devenir maurrassien en dialoguant avec Nicolas Dupont-Aignan ou même avec Marine Le Pen.
    Ces contre-exemples viennent infirmer ce que vous nous présentez comme une véritable loi dans le domaine de la politique. Le dialogue n’implique pas le reniement et la capitulation, simplement l’acceptation que les arguments du contradicteur valent la peine d’être discutés, affinés, appuyés ou contredites. Ce serait faire insulte à Monsieur Jacques Sapir que de le croire incapable de défendre ses propres idées.

     

    5) "Egaré pour rien"

    Là votre trame argumentative s’enrichit d’une perspective nouvelle et d’une approche spécifique. Cette perspective c’est celle du renoncement du FN à tenir ses promesses de manière volontaire. Votre approche, c’est celle d’une essentialisation du concept de "Capital", je suppose dans une acceptation marxiste la plus rigide. Pour ce qui est de la capacité du FN à tenir ses promesses l’exemple d’Alexis Tsipras nous montre que la bonne volonté ne suffit pas. Mais oui vous allez plus loin, pour vous le FN est néo-corporatiste. Vous êtes au moins cohérent avec le début de votre post. L’Action française avait sur le plan économique un positionnement corporatiste marqué, je vous l’accorde. Mais là où le bas blesse c’est que pour tirer une conclusion aussi convaincue du vrai programme du FN (d’ailleurs quel texte officiel récent produit par ce parti pourrait le laisser penser ?) il faudrait déjà prouver qu’il est l’héritier de Maurras et juste de Maurras. Et là les faiblesses de votre analyse au point précédent se répercutent à ce niveau de votre développement. Que faire des nouveaux profils du FN tels que Philippot ? Serait-il corporatiste lui aussi ? De plus, là encore les idées changent. Si Maurras était corporatiste dans les années 30, ne peut-on envisager que ses héritiers aient abandonné cet aspect de sa pensée ? Tous les marxistes n’adhèrent plus à l’économiciste du Marx de la maturité (par exemple feu le philosophe marxiste italien Costanzo Preve que je vous invite à lire). Si les idées s’affinent et peuvent se transformer chez les héritiers de Marx, pourquoi pas chez ceux de Maurras ?

    Vous parlez également du capital comme d’un sujet agissant de manière coordonnée, rationnelle. Alors peut-on inclure le petit patronat sous un tel concept ? Nous avons, à ma connaissance, un dense tissu de PME en France. Je vous laisse la possibilité ici de me réfuter vous devez mieux le savoir que moi. Mais il s’agit d’un réseau éclaté peu susceptible d’agir en commun. Dans le passé, peu de régime ou de partis ont été soutenus par l’action concertée, économique notamment, des petits patrons (ce qui ne veut pas dire que ces derniers n’aient pas des préférences politiques).
    Alors il s’agit du grand patronat ? Celui qui a financé les fascistes italiens (Confindustria, Confagricoltura) et les nationaux-socialistes. Là encore votre incantation pour laisser croire à une situation pas si éloignée de celle des années 1930 tombe à l’eau. Lénine a écrit un très beau livre sur l’impérialisme et ses relations avec les logiques du capitalisme. Dans ces années le grand patronat recherchait une protection de son marché intérieur, garantie par le protectionnisme voire l’autarcie des régimes fascistes. De plus, l’impérialisme agressif et colonialiste des fascismes assurait à ces entreprises des situations de monopoles sur des espaces sauvegardés. A l’époque les modalités de déploiement de l’autorité étatique et de la domination monopolistique pouvaient parfaitement concorder.
    Mais une analyse rigoureuse de votre part aurait exigé une étude des dynamiques propres au capitalisme de nos jours et aux nouvelles formes d’impérialismes.
    Premièrement nous sommes, je crois, passé à un nouveau stade de l’expansion du capitalisme et de ses modalités d’action que Lénine n’avait pas perçu. Désormais les entreprises ne sont plus liées à des états, à des pays, elles sont trans-nationales. Elles jouent sur la globalisation et sur la parfaite libéralisation du marché des capitaux et sur la possibilité de mondialiser le processus productif lui-même, profitant des différences de législation et de niveau économique. Aujourd’hui plus besoin pour nos multinationales d’une conquête coloniale sur fond d’idéologie nationaliste pour se déployer et réaliser le maximum de leur profit. Bien au contraire... Nos multinationales profitent de notre système libéral européen et du discours dominant sur le développement économique des pays pauvres pour s’implanter mondialement. Comme Carl Schmitt l’avait bien compris, les nouvelles guerres asymétriques et le discours mondialiste dominant faisant de la croissance économique le but à rechercher à tout prix font le jeu de ce système capitaliste et lui permettent de diversifier et de complexifier son logiciel de domination.

    Or ceci nécessite une libre circulation dans tous les domaines, y compris humains. La position du grand patronat allemand est significative à cet égard, il appelle à favoriser l’immigration, du moins pour peu qu’elle soit qualifiée. L’"Immigration choisie" sarkozyste est l’ultime avatar de cette posture libérale et cynique. A l’inverse je ne vois pas en quoi de nos jours le grand patronat aurait à se réjouir d’une venue au pouvoir du FN (pour le petit patronat c’est différent mais à travers le concept de capital je pense que vous parlez du grand patronat). Un parti qui aujourd’hui fait du protectionnisme et ferme les barrières migratoires d’un pays, mettant fin à la globalisation, va ainsi à l’encontre des intérêts du grand capital. Ce dernier l’a bien compris et le MEDEF a une position beaucoup plus dure envers le FN qu’envers... le PS. A moins que vous ne pensiez que le FN s’aligne sur une politique libérale, européenne et favorable à la globalisation et fera même dans la défense d’une "immigration choisie". Mais dans ce cas en quoi serait-il encore d’extrême-droite ? Il deviendrait un parti comme les Républicains ou le PS... Très décevant certes pour ceux qui auraient cru en lui mais finalement nous avons déjà ces gens au pouvoir.. Non, la grande faille de votre argumentation est que vous essayez de nous faire croire que grand patronat et extrême-droite partagent les mêmes intérêts. Ce qui pouvait être vrai dans les années 1930 ne l’est plus aujourd’hui.

     

    6) "A gauche, et à gauche seulement"

    Pour finir voici vos espoirs, ce que vous nous proposez. La voie semble bien étroite permettez-moi de vous le dire. Vous en appelez à une alternative bien à gauche. Encore s’agirait-il de proposer une définition développée et argumentée de ce qu’est la gauche pour vous. Votre appel à Robespierre s’avère, comme je l’ai développé plus haut, assez faible sur le plan intellectuel, d’un manichéisme intéressé.
    Vous citez Tsipras et son parti Syriza, vous semblez
    appuyer le travail qui fut le sien jusqu’à son renoncement. Dois-je vous rappeler que tout ce travail ne fut possible qu’avec l’alliance précisément des souverainistes de droite grec (les Grec Indépendants). Oui, les alliés de Nicolas Dupont-Aignan. Celui-ci même que vous rangez avec mépris dans le même sac que les héritiers de Maurras. Voilà une bien étrange démonstration que la votre qui, pour défendre une alternative à gauche et à gauche seulement, prend pour exemple un parti alternatif de gauche qui a accepté non seulement de dialoguer mais de s’allier avec un parti de droite. Votre exemple va à l’encontre de ce que vous entendez démontrer. Vous rendez vous compte seulement de l’incohérence d vos propos dans cette partie ? Prendre pour exemple une stratégie qui est l’inverse de celle que l’on défend relève ni plus ni moins du masochisme intellectuel et politique.
    Concluons. Vous vous plaignez à la fois de la posture internationaliste des partis d’extrême-gauche qui empêche de permettre un retour à un niveau politique de décision national afin de battre en brèche la volonté politique libérale de nos élites européiste. Dans le même temps vous accusez également le PS d’avoir abandonné la gauche. Puis vous vous attaquez à Jacques Sapir et à ceux qui prônent un dialogue ou un rapprochement avec les souverainistes de droite tout en citant comme exemple de votre stratégie jusqu’au-boutiste un parti qui a choisi précisément l’alliance avec un parti de droite.

    Quand on observe la situation des forces politiques en France aujourd’hui, autour de trois pôles : PS, LR, FN dont deux (PS, LR) partagent les mêmes valeurs, quand on observe l’état de la gauche critique, divisée et morcelée, on peut vite en conclure que votre post , qui refuse jusqu’au dialogue avec des néo-gaullistes comme Dupont-Aignan, ne peut aboutir qu’à une seule situation : le renforcement du contrôle des deux partis dominants sur la situation politique.
    Je me permets en conclusion de vous rappeler une conférence où vous souteniez la "politique du pire" en appelant à voter pourquoi pas UMP plutôt que PS. Permettez-moi de vous faire remarquer que votre politique du pire est assez fade et très loin de ce qu’elle désigne réellement. Faire la politique du pire c’est croire au chaos régénérateur, penser qu’un effondrement total des mécanismes politiques des règlements des conflits permettra une perte dans le monopole dans la violence et ainsi à des forces radicales de se retrouver en situation de force. Ce fut la stratégie des contre-révolutionnaires français au début de la Révolution qui ont aidé les Jacobins contre les Feuillants. Certains ont payé par la suite de leur vie cette stratégie dangereuse. Votre version de la politique du pire n’est rien d’autre qu’un appel à l’alternance dans l’espoir (vain car nos institutions font que les partis modérés se renforcent dans l’alliance avec les plus radicaux) d’un renversement du rapport de force entre PS et gauche de la gauche. Il s’agit d’une petite combinaison politicienne pas d’une authentique "politique du pire".

    J’espère que ces lignes vous parviendront. Ne prenez pas ombrage de leur ton parfois passionné.

     

     


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  • Gardons le sourire, Par Régis Debray - Le Monde

    Les idéaux sont de libre parcours, et les vocables qui chantent plus qu’ils ne parlent échappent à la propriété industrielle. On ne criera pas au voleur pour le détournement de « République ». L’antiphrase est reine au forum. « Démocraties populaires » désignait des despotismes bureaucratiques, « national-socialisme » une barbarie impérialiste. Le « Front républicain » de Guy Mollet a intronisé la torture dans la République, et un premier ministre socialiste déclarait récemment sa flamme à l’entreprise capitaliste. En matière d’appellation non contrôlée, le contemporain est blasé. Les farces et attrapes de l’habillage égayent une époque par ailleurs assez triste.

    En rebaptisant son parti « Les Républicains », l’exorbitant du monopole mis à part, M. Sarkozy reste dans les plis. Veut-il nous faire savoir que ses partisans ne sont ni monarchistes, ni fascistes, ni anarchistes ? On n’avait pas d’inquiétude là-dessus. Ou encore, que les hérauts de la finance et de la com’, comme ceux du seigle et de la luzerne hier, se rallient, tout bien pesé, à cette forme insolite de gouvernement ? Ce n’est pas une nouvelle.

    Depuis Adolphe Thiers et Albert de Mun, le républicain minimaliste fait partie des bagages de la France. Le tardif débarbouillage signale tout bonnement un artiste politique de talent, qui entend priver ses adversaires de gauche d’un blason ancestral leur permettant, pour sauver les meubles, d’exciper de « la discipline républicaine » en cas de malheur au premier tour. Business as usual. La manip’ ne serait que facétieuse si elle ne touchait, dans le cas d’espèce, au scabreux.

    Le citoyen, cosouverain

    Marianne est laïque. Elle ne met pas l’instituteur au-dessous du curé. Elle est indivisible. Ne reconnaissant pas les communautés comme corps intermédiaires ni comme sujets de droit, elle n’admet pas qu’on ait pu nommer « un préfet musulman », ni installer la coutume du chef de l’Etat assistant au dîner du CRIF. Sociale, elle réunit ses amis plutôt à Belleville qu’au Fouquet’s, et trouve ses sources d’inspiration plutôt chez Péguy et Marc Bloch que chez Johnny et BHL. Fraternelle, elle accueille les demandeurs d’asile, ne rive pas l’identité aux origines et en tient pour le droit du sol. Elle a encore pour langue le français, que la princesse de Clèves partage avec Louis Aragon, non le franglais des avocats d’affaires et des spin doctors.

    Faisant du citoyen un cosouverain, elle suppose la souveraineté du peuple, laquelle exige l’autonomie de la nation, son cadre d’expression. D’où vient qu’une subordination à une organisation politico-militaire sous commande impériale comme l’OTAN lui semble contre-nature. Mettant enfin le jugement personnel au-dessus de l’avis collectif, le sondage n’est pas sa boussole. Elle tient que l’instruction publique a pour finalité l’indépendance de l’esprit autant que l’insertion professionnelle. Bref, sauf à en faire un habit de papier, la République a des exigences, qu’elle a héritées de sa source historique, la Révolution française, et qui ne sont guère mainstream (parlons moderne).

    Cela dit, l’hommage du vice à la vertu, il nous arrive à tous de le pratiquer. C’est monnaie courante. Un ami de M. George Bush, qui, en bon néoconservateur, a jadis fait siens les aveuglements guerriers du leader d’outre-Atlantique, parfaitement insensés et toujours catastrophiques, a bien le droit, après quelques mécomptes, d’abandonner à mi-course la voie américaine pour l’austère voie romaine, fût-elle tempérée par un orléanisme pragmatique. C’est plus que méritoire.

    Le changement de pied a de grands exemples : Paul de Tarse sur le chemin de Damas, ou Charles Quint se retirant au monastère de Yuste pour y battre sa coulpe. N’écartons pas la possibilité du sublime. Montherlant a toute sa place au théâtre français. Offenbach aussi. Conversion ou pirouette ? Coup de foudre ou coup de pub ? Les deux sont autorisés. Jusqu’à plus ample informé, le candide penchera pour l’option opérette. Keep smiling.

    Source : Le Monde

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  • La CGT et l'Europe par agenceinfolibre


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  • "Comment le Parti Communiste, représentant des classes populaires sur la scène politique jusque dans les années 1970, est-il devenu un parti de professionnels, largement issus de milieux plus favorisés ? Croisant socio-histoire et analyse locale du politique, Julian Mischi met en lumière les causes et les enjeux politiques de ce déplacement. (...)

    La thèse générale est clairement exposée dans l’introduction : « depuis les années 1970, le communisme a tout autant été désarmé par ses adversaires socialistes et de droite dans un contexte général d’offensive néolibérale, qu’il s’est désarmé lui-même, en abandonnant l’ambition de représenter prioritairement les classes populaires et de promouvoir sur la scène politique des militants issus des groupes sociaux démunis » (p.7). En un certain sens le PCF est rentré dans le rang : alors que son exceptionnalité tenait à sa capacité à promouvoir des élites militantes ouvrières qui irriguaient jadis tout son système d’action (CGT, municipalités, organisations de masse, édition, presse, etc.), il est désormais lui aussi un parti d’élus et de professionnels de la politique puisant largement ses cadres dans les couches sociales non populaires. (...)

    Le vieillissement des militants est frappant. En 2013, alors que 4% des délégués au Congrès national sont étudiants, 22% sont retraités… (...) L’engagement des nouveaux adhérents relève plus de fidélités locales ou familiales que d’une adhésion idéologique.

    Les dommages collatéraux, si j’ose dire, de cette perte d’influence du PCF sur les classes populaires, sont bien connus : un abstentionnisme massif d’abord ; la possibilité pour le FN de « se mettre en scène comme parti des ouvriers » (p. 294) ensuite ; un affaiblissement, enfin, des capacités de résistance des classes populaires. Or, on discerne mal les forces politiques qui, aujourd’hui, seraient susceptibles de se donner pour projet la promotion de militants issus des classes populaires.

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