• Les ultra-conservateurs font la morale à nos élites (ils peuvent toujours courir)

     "Je crois que la criminalité dans nos rues ne peut pas être dissociée de la désintégration morale dans les plus hauts rangs de la société britannique moderne. Les deux dernières décennies ont vu une baisse terrifiante dans les principes de l’élite britannique au pouvoir. Il est devenu acceptable pour nos politiciens de mentir et de tricher. Une culture quasi-universelle de l’égoïsme et de la cupidité a grandi. (...) Ce n’est pas seulement sa jeunesse abimée, mais la Grande-Bretagne elle-même qui a besoin d’une réforme morale."

    Peter Oborne, The Telegraph

     

    "Et si nous, les conservateurs libéraux, nous nous étions trompés ? et si ce à quoi nous avons cru, l’économie de marché, n’avait jamais été qu’un moyen pour le plus petit nombre de faire travailler le plus grand pour acquérir le maximum de capital et donc de liberté ?"

    Stéphane Denis, Valeurs Actuelles

      

      

    Le délabrement moral de notre société est aussi grave au sommet qu’à la base, Par Peter Oborne, dans the Telegraph - Août 2011

    David Cameron, Ed Miliband et toute la classe politique britannique se sont réunis hier pour dénoncer les émeutiers. Ils avaient bien sûr raison de dire que les actions de ces pillards, de ces incendiaires et de ces agresseurs ont été odieuses et criminelles, et que la police devrait avoir plus de soutien.

    Mais il y avait aussi quelque chose de très faux et d’hypocrite dans toutes les réactions choquées et dans l’indignation exprimées par le Parlement. Les députés ont parlé des événements épouvantables  de la semaine, comme s’ils n’avaient rien à voir avec eux.

    Je ne peux pas accepter que ce soit le cas. En effet, je crois que la criminalité dans nos rues ne peut pas être dissociée de la désintégration morale dans les plus hauts rangs de la société britannique moderne. Les deux dernières décennies ont vu une baisse terrifiante dans les principes de l’élite britannique au pouvoir. Il est devenu acceptable pour nos politiciens de mentir et de tricher. Une culture quasi-universelle de l’égoïsme et de la cupidité a grandi.

    Ce n’est pas simplement le jeune sauvage de Tottenham qui a oublié qu’il a des devoirs aussi bien que des droits. Il en est de même pour le riche sauvage de Chelsea ou de Kensington. Il y a quelques années, ma femme et moi sommes allés à un dîner dans une grande maison dans l’ouest de Londres. Un vigile patrouillait le long de la rue au-dehors, et nous avons beaucoup parlé de « l’opposition Nord-Sud », une expression que j’ai prise au sens littéral au début, jusqu’à ce que je réalise que mes hôtes faisaient une facétieuse référence à la différence entre ceux qui vivaient au nord et au sud de Kensington High Street.

    La plupart des gens dans cette rue très huppée ont été tout autant déracinés et coupés du reste de la Grande-Bretagne que les jeunes pauvres, les chômeurs et les femmes qui ont causé les terribles dégâts ces derniers jours. Pour eux, le répugnant magazine du Financial Times « Comment dépenser son argent ? » est une bible. Je suppose que peu d’entre eux se donnent le mal de payer l’impôt britannique s’ils peuvent l’éviter, et que peu d’entre eux ont le sentiment de devoir quelque chose à la société, alors qu’il y a quelques décennies, ce sentiment venait naturellement chez les riches et chez les mieux lotis.

    Pourtant, nous célébrons les gens qui vivent des vies vides comme celles-ci. Il y a quelques semaines, j’ai remarqué un article dans un journal annonçant que le magnat des affaires Richard Branson allait déplacer le siège de sa société en Suisse. Ce déménagement était décrit comme un coup terrible porté au ministre des finances, George Osborne, parce qu’il signifiait moins de recettes fiscales.

    Je ne pouvais pas m’empêcher de penser que dans un monde sensé et décent, une telle démarche serait un coup terrible pour Sir Richard, et non pas pour le ministre des finances. Les gens auraient compris qu’un homme d’affaires important et riche fuyait l’impôt britannique, et ils l’auraient moins respecté. Au lieu de cela, Richard Branson a un titre de chevalier et il est largement honoré. C’est la même chose pour le brillant commerçant Sir Philip Green. Les entreprises de Sir Philip ne pourraient pas survivre sans la célèbre stabilité sociale et politique de la Grande-Bretagne, sans notre système de transport pour déplacer ses marchandises et sans nos écoles pour instruire ses employés.

    Pourtant, Sir Philip, qui, il y a quelques années, a transféré un extraordinaire dividende de un milliard de livres sterling dans un paradis fiscal, semble na pas avoir l’intention de payer grand-chose pour tout ceci. Pourquoi personne ne se fâche-t-il ou pourquoi ne le considère-t-on pas comme coupable ? Je sais bien qu’il paie des avocats fiscalistes très cher et que tout ce qu’il fait est légal, mais ce qu’il fait ne pose-t-il pas des questions éthiques et morales, tout autant qu’un jeune voyou qui casse une des boutiques de Sir Philip et qui lui vole certaines de ses marchandises ?

    Nos politiciens – dévots moulins à paroles hier – sont tout aussi mauvais. Ils ont montrés par le passé qu’ils étaient prêts à ignorer le moindre sens moral voire même, dans certains cas, à enfreindre la loi. David Cameron est heureux d’avoir certains des pires contrevenants dans son gouvernement. Prenons l’exemple de Francis Maude, qui est chargé de lutter contre les gaspillages du secteur public – dont les syndicats disent que ceci est un euphémisme pour mener la guerre contre les travailleurs faiblement rémunérés. Pourtant, M. Maude gagne des dizaines de milliers de livres sterling en violant l’esprit, sinon le lettre, de la loi régissant les indemnités des députés.

    Beaucoup de choses ont été dites au cours des derniers jours sur l’avidité des émeutiers pour les biens de consommation, en particulier par le député travailliste de la circonscription de Rotherham Denis MacShane, qui a précisément fait remarquer : « Ce que les pillards voulaient, c’était pendant quelques minutes entrer dans le monde de la consommation de Sloane Street. » Cette phrase vient  d’un homme qui a reconnu avoir dépensé 5 900 livres sterling pour acheter huit ordinateurs portables. Bien sûr, en tant que député, Denis MacShane a obtenu que ces huit ordinateurs portables lui soient remboursés en notes de frais par les contribuables.

    Hier, le député travailliste chevronné Gerald Kaufman a demandé au Premier ministre d’examiner comment ces émeutiers peuvent être « récupérés » par la société. Oui, c’est bien le même Gerald Kaufman qui s’est fait rembourser 14 301,60 livres sterling pour trois mois de notes de frais, dont 8 865 livres pour une télévision haut de gamme Bang & Olufsen.

    Ou prenez la députée travailliste Hazel Blears, qui a appelé bruyamment à une action draconienne contre les pillards. Je trouve très difficile de faire une distinction éthique entre la tricherie sur les notes de frais et l’évasion fiscale commises par Hazel Blears, et les vols commis par les pillards.

    Le premier ministre n’a montré aucun signe qu’il avait compris que quelque chose empestait lors du débat au Parlement hier. Il a parlé de la morale, mais seulement comme quelque chose qui s’appliquait aux plus pauvres : « Nous allons restaurer un sentiment plus fort de la morale et de la responsabilité –  dans chaque ville, dans chaque rue et dans chaque cité ».  Il n’avait pas l’air de comprendre que cela devrait également s’appliquer aux riches et aux puissants.

    La vérité tragique est que M. Cameron est lui-même coupable de ne pas réussir ce test. À peine six semaines se sont écoulées  depuis qu’il s’est pointé tout guilleret à la fête d’été de News International, même si ce groupe de médias était l’objet de deux enquêtes de la police. Encore plus notoirement, il a embauché au 10 Downing Street l’ancien rédacteur en chef du journal News of the World Andy Coulson, même s’il savait à l’époque qu’Andy Coulson avait démissionné après que des actes criminels aient été commis sous sa direction. Le Premier ministre a expliqué son erreur minable en proclamant que « tout le monde mérite une seconde chance ». Il a été très révélateur, hier, qu’il n’ait pas parlé de deuxième chance pour les émeutiers et les pillards.

    Ce « deux poids, deux mesures » de Downing Street est symptomatique de la double échelle de valeurs généralisée au sommet de notre société. Il convient toutefois de souligner que la plupart des gens (y compris, je sais, les lecteurs de The Telegraph) continuent à croire en l’honnêteté, au sens moral, au travail acharné, et rendent à la société au moins autant qu’ils en reçoivent.

    Mais il y a aussi ceux qui ne le fond pas. Bien entendu, les jeunes soi-disant sauvages semblent ne pas avoir la conscience de la décence et de la moralité. Mais il en est de même des riches cupides et puissants – trop de nos banquiers, footballeurs, hommes d’affaires et politiciens.

    Bien sûr, la plupart d’entre eux sont assez intelligents et riches pour s’assurer qu’ils respectent la loi. On ne peut pas en dire autant de ces malheureux hommes et femmes, sans espoir ni aspiration, qui ont provoqué le chaos de ces derniers jours. Mais les émeutiers ont cette excuse : ils suivent simplement l’exemple donné par les personnalités les plus respectées dans la société. Gardons à l’esprit que beaucoup des jeunes de nos centres-villes n’ont jamais été formés à des valeurs convenables. Ils n’ont toujours connu que la barbarie. Nos politiciens et nos banquiers, en revanche, sont généralement passés par les bonnes écoles, par les bonnes universités, et ils ont eu toutes les chances dans la vie.

    Quelque chose va terriblement mal en Grande-Bretagne. Si nous sommes confrontés aux problèmes qui ont surgi la semaine dernière, il est essentiel de garder à l’esprit que ces problèmes n’existent pas seulement dans les lotissements des banlieues.

    La culture de la cupidité et de l’impunité à laquelle nous assistons sur nos écrans de télévision s’étend jusque dans les conseils d’administration des grandes entreprises et à l’intérieur du Gouvernement. Cette culture atteint la police et la plupart de nos médias. Ce n’est pas seulement sa jeunesse abimée, mais la Grande-Bretagne elle-même qui a besoin d’une réforme morale.

    Traduction : Olivier Berruyer, pour www.les-crises.fr

     

     

    Les conservateurs se sont-ils trompés ? Par Stéphane Denis, dans Valeurs Actuelles - Septembre 2011

    La question ne se pose pas encore en France mais, en Grande-Bretagne ou en Allemagne, on la trouve sous la plume d’éditorialistes vedettes de la presse conservatrice et libérale. Il y a deux mois, avant de les lire, je l’ai posée lors d’une rencontre avec des banquiers internationaux : et si nous, les conservateurs libéraux, nous nous étions trompés ? et si ce à quoi nous avons cru, l’économie de marché, n’avait jamais été qu’un moyen pour le plus petit nombre de faire travailler le plus grand pour acquérir le maximum de capital et donc de liberté ?

    C’était au moment où il devenait clair que la crise grecque serait épongée non par les banques mais par l’argent public ; que le Congrès américain, après avoir ruiné l’essentiel de l’amendement Dodd-Frank, laisserait le système financier prêt à recommencer ; que Barack Obama allait passer un compromis qui réduirait les dépenses mais n’augmenterait pas les impôts ; et que la mondialisation consisterait plus que jamais à récupérer les bénéfices mondiaux en replaçant les pertes chez les contribuables.

    On a de plus en plus le sentiment que les gouvernements défendent des intérêts au lieu de répondre à la crise, ou encore répondent à la crise en défendant des intérêts. Et cela quelle que soit leur couleur politique. Aussi, la seule chose qui reste à se demander est la part d’autonomie dont ils jouissent ; à vrai dire elle consiste à mettre en scène des décisions qui donnent l’impression que les dirigeants politiques les ont ap­prises cinq minutes avant de s’y convertir. Tout se passe comme si une force supérieure leur disait : “Voilà comment seront les choses, à vous de vous débrouiller pour que les gens s’en accommodent ; ces détails ne sont pas notre affaire, faites votre métier et, si vous n’y par­venez pas, d’autres dirigeants vous remplaceront.”

    C’est affreux à dire, mais il est possible que nous ayons été aveuglés par la sottise, l’archaïsme et l’utopie de la gauche depuis trente ans, et que la ritournelle de ses vieilles recettes nous ait empêchés de voir qu’elle avait raison sur le fond : le système destiné à faire progresser le plus grand nombre a été récupéré de façon à enrichir sans limites le plus petit. On a commencé de s’en rendre compte en France quand le scandale des rémunérations est devenu patent et qu’il est apparu que le but du jeu était devenu de multiplier les revenus exonérés d’un côté en finançant par l’emprunt et les subventions la consommation de l’autre. On le vérifie aujourd’hui quand le sauvetage de la Grèce n’est pas le sauvetage de la Grèce incapable d’atteindre les objectifs qu’on lui as­signe mais celui des banques imprudemment et par appât du gain compromises dans sa faillite. Dans moins de deux mois, le nouveau président de la Banque cen­trale européenne prendra ses fonctions et, quelles que soient ses qualités indiscutables, je doute qu’il adopte une attitude plus sévère à leur égard : il s’agit de Mario Draghi, un ex de Goldman Sachs, précisément la banque qui a aidé les Grecs à maquiller leurs comptes pour entrer dans l’euro.

    Oui, c’est assez terrible pour un libéral d’admettre que la gauche avait peut-être raison même si c’est en dépit de la gauche et de ses solutions éternellement inappropriées. Surtout à un moment où elle frappe de nouveau à la porte du pouvoir et semble en passe de l’emporter. La voilà qui se représente avec sa confiance inébranlable dans l’État. La seule consolation, c’est qu’elle est aujourd’hui à peu près aussi révolutionnaire que la droite mais, si on se rappelle que la droite nous a menti pendant vingt-cinq ans avec son maniement du libéralisme, la seule perspective est que la gauche nous mentira tout autant avec son futur faux dirigisme, et c’est une assez maigre satisfaction.

    J’ai écrit “peut-être raison” parce qu’il reste une chance, très mince, pour que le nouveau conservatisme, celui du partage consenti du monde entre les riches et tous les autres, ne soit, malgré les scandales qu’il pro­voque, pas sauvé par le conservatisme de la gauche si elle gagne, ou le contentement de soi qu’éprouvera la droite si elle réussit à rester au pouvoir. Elle consisterait à reconnaître que nous nous sommes trompés et qu’il faudrait essayer autre chose. Je doute qu’elle survive à une présidentielle.  Stéphane Denis, journaliste, écrivain


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