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Manifeste du Parti Communiste, Karl Marx et Friedrich Engels - 1848
Traduction française, 1893, Laura Lafargue. Extrait.
Un spectre hante l'Europe: le spectre du communisme. Toutes les puissances de la vieille Europe se sont unies en une Sainte Alliance pour traquer ce spectre: le pape et le tsar, Metternich et Guizot, les radicaux de France et les policiers d'Allemagne.
Quel est le parti d'opposition qui n'a pas été accusé de communisme par ses adversaires au pouvoir ? Quel est le parti d'opposition qui, à son tour, n'a pas renvoyé aux opposants plus avancés que lui tout comme à ses adversaires réactionnaires le grief infamant de communisme ?
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L'histoire de toute société jusqu'à nos jours est l'histoire de luttes de classes.
Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, bref oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une lutte ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée, une lutte qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la disparition des deux classes en lutte.
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Cependant, le caractère distinctif de notre époque, de l'époque de la bourgeoisie, est d'avoir simplifié les antagonismes de classes. La société entière se scinde de plus en plus en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes qui s'affrontent directement: la bourgeoisie et le prolétariat.
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La bourgeoisie a joué dans l'histoire un rôle éminemment révolutionnaire.
Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a détruit les relations féodales, patriarcales et idylliques.
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Classe au pouvoir depuis un siècle à peine, la bourgeoisie a créé des forces productives plus nombreuses et plus gigantesques que ne l’avaient fait toutes les générations passées prises ensemble.
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Les rapports bourgeois de production et d'échange, de propriété, la société bourgeoise moderne, qui a fait surgir de si puissants moyens de production et d'échange, ressemble au sorcier qui ne sait plus dominer les puissances infernales qu'il a évoquées. Depuis des dizaines d'années, l'histoire de l'industrie et du commerce n'est autre chose que l'histoire de la révolte des forces productives contre les rapports modernes de production, contre les rapports de propriété qui conditionnent l'existence de la bourgeoisie et de sa domination. Il suffit de mentionner les crises commerciales qui, par leur retour périodique, remettent en question et menacent de plus en plus l'existence de la société bourgeoise. Ces crises détruisent régulièrement une grande partie non seulement des produits fabriqués, mais même des forces productives déjà créées. Au cours des crises, une épidémie qui, à toute autre époque, eût semblé une absurdité, s'abat sur la société - l'épidémie de la surproduction. La société se trouve subitement ramenée à un état de barbarie momentanée; on dirait qu'une famine, une guerre d'extermination généralisée lui ont coupé tous ses moyens de subsistance; l'industrie et le commerce semblent anéantis. Et pourquoi ? Parce que la société a trop de civilisation, trop de moyens de subsistance, trop d'industrie, trop de commerce. Les forces productives dont elle dispose ne favorisent plus le développement de lit civilisation bourgeoise et les rapports bourgeois de propriété; au contraire, elles sont devenues trop puissantes pour ces formes qui leur font alors obstacle; et dès que les forces productives triomphent de cet obstacle, elles précipitent dans le désordre la société bourgeoise tout entière et menacent l'existence de la propriété bourgeoise. Le système bourgeois est devenu trop étroit pour contenir les richesses qu'il crée. - Comment la bourgeoisie surmonte-t-elle ces crises ? D'un côté, en imposant la destruction massive de forces productives; de l'autre, en conquérant de nouveaux marchés et en exploitant plus à fond des anciens marchés. Comment, par conséquent ? En préparant des crises plus générales et plus puissantes et en réduisant les moyens de les prévenir.
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Mais la bourgeoisie n'a pas seulement forgé les armes qui la mettront à mort: elle a produit aussi les hommes qui manieront ces armes - les ouvriers modernes, les prolétaires.
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De toutes les classes qui, à l'heure actuelle, s'opposent à la bourgeoisie, seul le prolétariat est une classe vraiment révolutionnaire. Les autres classes périclitent et disparaissent avec la grande industrie; le prolétariat, au contraire, en est le produit le plus authentique.
Les classes moyennes, petits industriels, petits commerçants, artisans, paysans, tous combattent la bourgeoisie pour sauver leur existence de classes moyennes du déclin qui les menace. Elles ne sont donc pas révolutionnaires, mais conservatrices; bien plus, elles sont réactionnaires: elles cherchent à faire tourner à l'envers la roue de l'histoire. Si elles sont révolutionnaires, c'est en considération de leur passage imminent au prolétariat: elles défendent alors leurs intérêts futurs et non leurs intérêts actuels; elles abandonnent leur propre point de vue pour se placer sur celui du prolétariat.
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Les prolétaires n'ont rien à sauvegarder qui leur appartienne: ils ont à détruire toute sécurité privée, toutes garanties privées antérieures.
Tous les mouvements ont été, jusqu'ici, accomplis par des minorités ou dans l'intérêt de minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement autonome de l'immense majorité dans l'intérêt de l'immense majorité.
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Bien qu'elle ne soit pas, quant au fond, une lutte nationale, la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie en revêt cependant d'abord la forme. Le prolétariat de chaque pays doit, bien entendu, en finir avant tout avec sa propre bourgeoisie.
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Toutes les sociétés antérieures, nous l'avons vu, ont reposé sur l'antagonisme de classes oppressives et de classes opprimées. Mais, pour opprimer une classe, il faut pouvoir lui assurer des conditions d'existence qui lui permettent au moins de vivre dans la servitude. Le serf est parvenu à devenir membre d'une commune en plein servage de même que le petit bourgeois s'est élevé au rang de bourgeois sous le joug de l'absolutisme féodal. L'ouvrier moderne au contraire, loin de s'élever avec le progrès de l'industrie, déchoit de plus en plus au-dessous même des conditions de vie de sa propre classe. L'ouvrier devient un pauvre, et le paupérisme s'accroît plus rapidement encore que la population et la richesse. Il en ressort donc clairement que la bourgeoisie est incapable de demeurer plus longtemps classe dirigeante et d'imposer à la société, comme loi impérative, les conditions d'existence de sa classe. Elle est incapable de régner, parce qu'elle est incapable d'assurer l'existence de son esclave dans le cadre de son esclavage, parce qu'elle est obligée de le laisser déchoir au point de devoir le nourrir au lieu qu'il la nourrisse. La société ne peut plus vivre sous sa domination, ce qui revient à dire que l'existence de la bourgeoisie n'est plus compatible avec celle de la société.
L’existence et la domination de la classe bourgeoise ont pour conditions essentielles l’accumulation de la richesse aux mains des particuliers, la formation et l'accroissement du capital; la condition du capital, c'est le salariat.
Le salariat repose exclusivement sur la concurrence des ouvriers entre eux. Le progrès de l'industrie, dont la bourgeoisie est l'agent sans volonté propre et sans résistance, substitue à l'isolement des ouvriers résultant de leur concurrence, leur union révolutionnaire par l'association. Ainsi le développement de la grande industrie sape sous les pieds de la bourgeoisie la base même sur laquelle elle a établi son système de production et d'appropriation. La bourgeoisie produit avant tout ses propres fossoyeurs. Sa chute et la victoire du prolétariat sont également inévitables.
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Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers.
Ils n'ont point d'intérêts qui divergent des intérêts de l'ensemble du prolétariat.
Ils n'établissent pas de principes particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement prolétarien.
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Le but immédiat des communistes est le même que celui de tous les partis ouvriers: constitution du prolétariat en classe, renversement de la domination bourgeoise, conquête du pouvoir politique par le prolétariat.
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En ce sens, les communistes peuvent résumer leur théorie dans cette formule unique: abolition de la propriété privée.
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Dans la société bourgeoise, le travail vivant n'est qu'un moyen d'accroître le travail accumulé. Dans la société communiste, le travail accumulé n'est qu'un moyen d'élargir, d'enrichir et de faire progresser l'existence des travailleurs.
Dans la société bourgeoise, le passé domine donc le présent; dans la société communiste c'est le présent qui domine le passé. Dans la société bourgeoise, le capital est indépendant et personnel, tandis que l'individu qui travaille n'a ni indépendance, ni personnalité.
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Vous êtes saisis d'horreur parce que nous voulons abolir la propriété privée. Mais, dans votre société actuelle, la propriété privée est abolie pour les neuf dixièmes de ses membres; si cette propriété existe, c'est précisément parce qu'elle n'existe pas pour ces neuf dixièmes. Vous nous reprochez donc de vouloir abolir une forme de propriété qui a pour condition nécessaire que l'immense majorité de la société soit frustrée de toute propriété.
En un mot, vous nous accusez de vouloir abolir voire propriété à vous. En vérité, c'est bien ce que nous voulons.
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Les ouvriers n'ont pas de patrie. On ne peut leur prendre ce qu'ils n'ont pas. Comme le prolétaire doit en premier lieu conquérir le pouvoir politique, s'ériger en classe nationale, se constituer lui-même en nation, il est encore par là national, quoique nullement au sens où l'entend la bourgeoisie.
Déjà les démarcations nationales et les antagonismes entre les peuples disparaissent de plus en plus avec le développement de la bourgeoisie, la liberté du commerce, le marché mondial, l'uniformité de la production industrielle et les conditions d'existence qu'elle entraîne.
Le prolétariat au pouvoir les fera disparaître Plus encore. Son action commune, dans les pays civilisés tout au moins, est l'une des premières conditions de son émancipation.
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Nous avons déjà vu plus haut que le premier pas dans la révolution ouvrière est la constitution du prolétariat en classe dominante, la conquête de la démocratie.
Le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher peu à peu à la bourgeoisie tout capital, pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l’État, c’est-à-dire du prolétariat organisé en classe dominante, et pour augmenter au plus vite la masse des forces productives.
Cela ne pourra se faire, naturellement, au début, que par une intervention despotique dans le droit de propriété et les rapports bourgeois de production, c'est-à-dire par des mesures qui économiquement paraissent insuffisantes et insoutenables, mais qui, au cours du mouvement, se dépassent elles-mêmes et sont inévitables comme moyen de bouleverser le mode de production tout entier.
Cependant, pour les pays les plus avancés, les mesures suivantes pourront assez généralement être mises en application:
1. Expropriation de la propriété foncière et affectation de la rente foncière aux dépenses de I’État.
2. Impôt fortement progressif.
3. Abolition du droit d'héritage.
4. Confiscation des biens de tous les émigrés et rebelles.
5. Centralisation du crédit entre les mains de l’État, par une banque nationale, dont le capital appartiendra à l’État et qui jouira d'un monopole exclusif.
6. Centralisation entre les mains de l’État de tous les moyens de transport.
7. Multiplication des usines nationales et des instruments de production; défrichement et amélioration des terres selon un plan collectif.
8. Travail obligatoire pour tous; organisation d'armées industrielles, particulièrement pour l'agriculture.
9. Coordination de l'activité agricole et industrielle mesures tendant à supprimer progressivement l'opposition ville-campagne.
10. Éducation publique et gratuite de tous les enfants abolition du travail des enfants dans les fabriques tel qu'il est pratiqué aujourd'hui. Coordination de l'éducation avec la production matérielle, etc.
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A la place de l'ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classes, surgit une association dans laquelle le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous.
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