• Nouriel Roubini condamne le capitalisme anglosaxon

    Qualifié (ironiquement) de "prophète" par certains parce qu'il aurait vu venir la crise des subprimes, Nouriel Roubini, n'est en fait qu'un observateur lucide des évènements qui se déroulent sous ses yeux. Peu téméraire, il préconisait en 2007, de réformer à la marge le système financier sans oser remettre en cause la mondialisation :

    "Il paraît difficile d’inverser la tendance à la libéralisation des marchés financiers, mais leurs effets secondaires négatifs – dont le risque systémique plus élevé – requièrent une série de réformes" (2007)


    Mais devant l'ampleur du choc mondial, il doit se rendre à l'évidence, c'est le modèle même de ce capitalisme financier qui est défaillant :

    "Il semble donc que Karl Marx avait au moins partiellement raison en disant que la mondialisation et l'intermédiation financière risquaient d'échapper à tout contrôle et que la redistribution des revenus et de la richesse tirée du travail au profit du capital pouvait conduire à l'autodestruction du capitalisme (...)  

    Le bon fonctionnement d'une économie de marché suppose un juste équilibre entre les marchés et les biens publics" (2010)


    Il faut dès lors porter un regard critique sur la révolution libérale de ces 30 dernières années durant lesquelles a été balayé le modèle social précisément institué en réponse à la grande dépression des années 30 :

    "Mais durant la période Reagan-Thatcher on a perdu de vue la nécessité d'une règlementation prudentielle du système financier, les défauts du modèle social européen ayant été l'une des causes de la tendance à une déréglementation massive.(...)

    Mais le modèle anglo-saxon du laissez-faire a lui aussi misérablement échoué." (2011)




    L'inégalité, source d'instabilité ! - Octobre 2011. Extrait.

    L’augmentation de l’endettement tant dans le secteur privé que dans le secteur public et les bulles correspondantes des actifs et du crédit sont en partie la conséquence des inégalités. (...)

    De ce fait l’économie de marché ne génère pas une demande finale suffisante. Par exemple aux USA la diminution du coût du travail a fortement réduit la part du revenu des salariés dans le PIB. Le crédit devenant rare, avec la plus faible propension marginale des entreprises, des détenteurs de capitaux et des ménages aisés à dépenser, les conséquences de décennies de redistribution inéquitable des revenus et des richesses sur la demande agrégée (du travail vers le capital, des salaires vers les profits, des pauvres vers les riches et des ménages vers les entreprises) sont devenues plus marquées.

    Ce problème n’a rien de neuf. Karl Marx a exagéré les mérites du socialisme, mais il avait raison de dire que la mondialisation, le capitalisme effréné et la redistribution des revenus et des richesses issues du travail au profit du capital pouvaient conduire le capitalisme à s’auto-détruire. Ainsi qu’il le proclamait, le capitalisme sauvage peut entraîner des épisodes de surcapacité, de sous-consommation et un retour cyclique de crises financières destructrices alimentées par l'éclatement des bulles du crédit et du prix des actifs.

    Même avant la Grande dépression, les classes "bourgeoises" éclairées européennes reconnaissaient que pour éviter une révolution il était nécessaire de protéger les droits des salariés, d'augmenter leurs revenus et d'améliorer leurs conditions de travail, de redistribuer les richesses et de financer les biens publics (l'éducation, la santé et système de protection sociale). La pression en faveur d'un Etat-providence moderne a augmenté après la Grande dépression, lorsque l'Etat a assumé la responsabilité de la stabilisation macroéconomique. Il lui a fallu pour cela entretenir une classe moyenne importante en renforçant les biens publics par une fiscalité progressive et en donnant à tous une chance de réussir.

    Ainsi, l'avènement de l'Etat-providence (souvent sous la conduite de démocraties libérales) a été une stratégie pour éviter une révolution populaire, le socialisme et le communisme, au moment où la fréquence et la gravité des crises financières allaient croissantes. Trois décennies de calme relatif du point de vue social et économique ont suivi, de la fin des années 1940 jusqu'au milieu des années 1970 - une période durant laquelle le revenu médian a augmenté rapidement et les inégalités ont fortement baissé. 

    Mais durant la période Reagan-Thatcher on a perdu de vue la nécessité d'une règlementation prudentielle du système financier, les défauts du modèle social européen ayant été l'une des causes de la tendance à une déréglementation massive. Ces défauts se traduisaient par de gros déficits budgétaires, un excès de réglementation et un manque de dynamisme économique qui a conduit à une croissance anémique à l'époque, et à la crise de la dette souveraine dans la zone euro aujourd'hui.

    Mais le modèle anglo-saxon du laissez-faire a lui aussi misérablement échoué. La stabilisation des économies de marché nécessite de revenir au bon équilibre entre les marchés et les dispositions en faveur des biens publics. Cela suppose de s'écarter à la fois du modèle anglo-saxon avec son absence de régulation des marchés et du modèle continental européen d'Etat-providence basé sur le déficit budgétaire. Quant au modèle alternatif, celui de la croissance "asiatique" – s'il existe vraiment – il n'a pas empêché l'augmentation des inégalités en Chine, en Inde et ailleurs.

    Un modèle économique qui ne corrige pas les inégalités est condamné à une crise de légitimité. Si l'on ne réexamine pas les rôles économiques respectifs du marché et de l'Etat, les manifestations de 2011 redoubleront d'intensité, tandis que l'instabilité sociale et politique menacera la croissance à long terme et la protection sociale.

    Project Syndicate

     

    Le capitalisme est-il condamné ? Nouriel Roubini - Août 2011. Extrait.

    Une crise financière et économique due à un endettement trop important du secteur privé a conduit à un réendettement massif du secteur public afin d'éviter une deuxième Grande dépression. Mais de ce fait, le redémarrage qui a suivi a été anémique dans la plupart des pays avancés.(...)

    Il semble donc que Karl Marx avait au moins partiellement raison en disant que la mondialisation et l'intermédiation financière risquaient d'échapper à tout contrôle et que la redistribution des revenus et de la richesse tirée du travail au profit du capital pouvait conduire à l'autodestruction du capitalisme (même si son idée que le socialisme allait donner de meilleurs résultats s'est révélée inexacte). Les entreprises suppriment des postes de travail en raison de l'insuffisance de la demande finale, mais cela diminue les revenus du travail, creuse les inégalités et contribue à réduire la demande finale.

    Les récentes manifestations du Moyen-Orient à Israël en passant par le Royaume-Uni et la montée du mécontentement en Chine - et celles à venir dans d'autres pays avancés ou émergents - ont une origine commune : la hausse de la pauvreté des inégalités et du chômage et l'absence d'espoir. Même les classes moyennes un peu partout sont affectées par la baisse des revenus, la hausse du chômage et les difficultés économiques.

    Le bon fonctionnement d'une économie de marché suppose un juste équilibre entre les marchés et les biens publics. Autrement dit il faudrait s'éloigner du modèle anglo-saxon de laisser-faire et de "l'économie vaudou" (baisse impôt et stimulation de l'offre), ainsi que du modèle européen d'Etat-providence qui creuse les déficits. Ils ne conviennent plus, ni l'un ni l'autre.

    Le bon équilibre passe maintenant par la création d'emplois obtenue notamment par une stimulation budgétaire supplémentaire en faveur de l'investissement dans des infrastructures productives. Il y faudra aussi une fiscalité plus progressive, davantage de stimulation budgétaire à court terme avec une discipline budgétaire à moyen et long terme, l'aide des autorités monétaires en faveur des prêteurs de dernier ressort pour éviter de ruineuses paniques bancaires, une réduction du fardeau de la dette pour les ménages insolvables et les autres agents économiques en difficulté, une supervision et une réglementation plus stricte d'un système économique qui a tendance à échapper à tout contrôle et le fractionnement des banques et des trusts oligarchiques en établissements de taille plus modeste.

    Au bout d'un certain temps les pays avancés devront investir dans le capital humain, la formation professionnelle et la protection sociale, de manière à augmenter la productivité et à permettre aux travailleurs d'être compétitifs sur le marché du travail, de faire preuve de flexibilité et de réussir dans une économie mondialisée. L'alternative, comme dans les années 1930, c'est la prolongation de la stagnation, la dépression économique, des guerres des devises et des guerres commerciales, le contrôle des capitaux, des crises financières, le défaut des Etats et une instabilité sociale et politique de grande ampleur.

    Project Syndicate


    Comment éviter une nouvelle Grande Dépression - Juin 2010. Extrait.

    Les hommes politiques du monde ne cessent de débattre pour savoir quand et comment sortir des importants plans de relance monétaire et budgétaire qui ont permis d’éviter que la Grande Récession de 2008-2009 ne devienne une nouvelle Grande Dépression. (...)

    Le problème est que depuis dix ans, les Etats-Unis et d’autres pays déficitaires – dont la Grande Bretagne, l’Espagne, la Grèce, le Portugal, l’Irlande, l’Islande, Dubaï et l’Australie – sont des consommateurs de premier et de dernier ressort, dépensant plus que leurs revenus ne les y autorisent et ayant des comptes courants déficitaires. Dans le même temps, les économies asiatiques émergentes – surtout la Chine - avec le Japon, l’Allemagne et quelques autres pays, ont été des producteurs de premier et dernier ressort, dépensant moins que leurs revenus et avec des comptes courants excédentaires.  (...)

    En général, le désendettement des ménages, du gouvernement et des institutions financières devrait se faire de manière progressive – et être soutenu par un affaiblissement de la monnaie – si l’on veut éviter un rebond de la récession et une déflation plus importante encore. Les pays qui peuvent encore se permettre les plans de relance budgétaire et qui ont besoin de réduire leur épargne devraient contribuer au réajustement global des comptes courants – par des ajustements monétaires et des augmentations des dépenses – de façon à éviter une baisse de la demande collective globale.

    Ne pas mettre en place de telles mesures coordonnées – pour soutenir la demande collective  mondiale alors que la tendance déflationniste est encore très forte dans les économies avancées – pourrait entrainer un rebond très dangereux et dommageable de la récession dans les économies avancées. Il faudra s’attendre dans ce cas à des risques systémiques sévères sur les marchés financiers, des défauts souverains en série et cela entraverait considérablement les perspectives de croissance des marchés émergeants qui connaissent jusqu’à maintenant une reprise plus solide que celle des économies avancées.

    Project Syndicate

     

    De l’effondrement financier à la dépression mondiale ? - Octobre 2008. Extrait.

    "La crise est provoquée par la plus grande bulle du crédit et des actifs de l’histoire. L’endettement et les bulles ne se sont pas limités au marché immobilier américain, mais caractérisent aussi ceux d’autres pays. (...)

    Nous ne pouvons donc pas exclure la possibilité d’une faillite systémique et d’une dépression mondiale. Comme nous l’avons vu ces derniers jours, il faudra, pour éviter un désastre, un grand changement de politique économique et une action très radicale et coordonnée de toutes les économies avancées et des marchés émergents."

    Project Syndicate

     

    Le côté obscur de la mondialisation financière - Octobre 2007. Extrait.

    (...) Que faire ? Il paraît difficile d’inverser la tendance à la libéralisation des marchés financiers, mais leurs effets secondaires négatifs – dont le risque systémique plus élevé – requièrent une série de réformes.

    Premièrement, davantage d’informations et de transparence sur les actifs complexes et leurs détenteurs sont nécessaires. Deuxièmement, les instruments financiers complexes doivent être échangés en bourse et non sur les marchés hors cotes. Ils doivent par ailleurs être standardisés de manière à donner naissance à des marchés secondaires des actifs pour ces instruments.

    Troisièmement, une meilleure surveillance et réglementation du système financier mondial est indispensable, y compris une réglementation des institutions opaques ou fortement endettées comme les fonds spéculatifs et même les fonds souverains. Quatrièmement, le rôle des agences de notation doit être repensé, avec davantage de réglementation et de compétition entre elles. Enfin, le risque de liquidité doit être correctement évalué par des modèles de gestion du risque et tant les banques que les autres institutions financières doivent mieux évaluer et gérer ce risque. La plupart des crises financières sont déclenchées par un asynchronisme des échéances.

    Project Syndicate


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  • Commentaires

    1
    BA
    Mercredi 13 Juin 2012 à 17:34

    Mercredi 13 juin 2012 :

     

    Considérant que l'Union Européenne était à un moment "crucial", le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a décoché de son côté des flèches en direction de celles des "capitales" qui ne mesurent pas l'urgence de la situation.

     

    "Nous avons un problème systémique devant nous, nous devons avoir un cap et le maintenir. Je ne sais pas si l'urgence est bien comprise par toutes les capitales aujourd'hui", a-t-il déclaré devant le Parlement européen à Strasbourg.

     

    http://www.boursorama.com/actualites/italie-monti-affiche-sa-serenite-malgre-la-flambee-des-taux-d-emprunt-80574aa0b4cacf171c2e010311c52766

     

    José Manuel Barroso vient de dire la phrase la plus importante :

     

    "Nous avons un problème systémique devant nous"

    2
    Coma81 Profil de Coma81
    Mercredi 13 Juin 2012 à 21:43

    "Nous avons un problème systémique devant nous"

     

    J'adore.

     

    Bon là cette semaine,cela semble hors contrôle

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