• La décision du Front de Gauche de ne pas participer au gouvernement élu en 2012 a acté la fin de l'unité de la Gauche. La coalition au pouvoir se trouve maintenant sous le feu des critiques d'un mouvement politique de protestation - voire d'opposition - qui prend de l'ampleur sur sa gauche.

    Cette situation nouvelle suscite un affrontement politique entre composantes de la Gauche, qui prend la forme, entre autres, d'une dispute au sujet du patrimoine commun. Chacun revendique sa part de l'héritage tout en déniant ce droit à l'autre. D'un côté, le Parti Socialiste exprime ses tentations hégémoniques en cherchant à repousser son rival à "l'extrême Gauche". Les intellectuels du PS montent au front pour disqualifier les fantasmes "révolutionnaires marxistes" et promouvoir la raison "réformiste". De l'autre, le Front de Gauche se réclame de la "vraie gauche", entendant par là implicitement que le PS ne peut être qu'une fausse Gauche, ou plus explicitement, "une Droite complexée" pour reprendre la formule de Frédéric Lordon.

    Bien que la désunion de la gauche doive beaucoup aux effets de contexte, il apparait nécessaire aux yeux des protagonistes de trouver une justification idéologique au désaccord, et surtout de préciser dorénavant les identités politiques propres de chacun. 

    De fait, la division recouvre une opposition idéologique bien réelle, mais que ni le Parti Socilaliste, ni le Front de Gauche ne parviennent à expliciter correctement. Cela supposerait qu'ils puissent se départir de la vision erronée qu'il existe en France au sujet du libéralisme.

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    Qu'est ce que le libéralisme ? En France, depuis le 19ème siècle, l'Orléanisme, un courant de la Droite française, revendique l'étiquette "libérale". L'Orléanisme est né de la révolution de juillet, en 1830, qui a chassé Charles X du pouvoir. A sa place, Louis Philippe d'Orléans a été choisi par la bourgeoisie pour que celui-ci instaure un régime plus respectueux des libertés civiles et politiques. Malgré tout, il s'agit d'une évolution progressive d'un régime qui reste autoritaire, élitaire et fortement censitaire. A Gauche, les républicains lutteront tout au long du 19ème siècle pour approfondir la voie libérale. 

    Ainsi, l'étiquette libérale a été attribuée à la Droite conservatrice timidement libérale, alors même que c'est la Gauche républicaine qui était authentiquement libérale. Pourtant, la Gauche n'a jamais voulu renvendiquer le libéralisme de sorte qu'aujourd'hui, être qualifié de "libéral", c'est être renvoyé à la Droite. Il s'agit d'une erreur d'optique comme l'explique Marcel Gauchet dans cet extrait sonore :

     

     

    Seconde complication, la Gauche libérale du 19ème siècle a été remplacée au 20ème siècle par une Gauche socialiste. Les voies de l'émancipation ont semblé un temps tenir dans la socialisation des moyens de production; soit de façon graduelle (Gauche socialiste réformiste), soit par la Révolution (Gauche communiste). Avec l'effondrement de l'espérance socialiste au tournant des années 1980, le libéralisme a retrouvé son hégémonie d'antan sur l'ensemble du spectre politique. A nouveau, la pointe avancée du libéralisme se trouve à Gauche tandis que la Droite reste mâtinée de conservatisme - comme le confirme l'épisode du mariage pour tous - .

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    Les deux Gauches commettent la même erreur en caricaturant le libéralisme, et en l'associant à la Droite. Le débat, au lieu de faire émerger les vraies lignes de clivages, se perd en invectives improductives.

    Le Front de Gauche se trompe en revendiquant pour lui-même l'étiquette de "vraie Gauche", en renvoyant comme le fait Frédéric Lordon, le PS à la "Gauche de droite" ou bien "la Droite complexée". C'est plutôt le "Socialisme" qu'il faut revendiquer. Cela amènerait à se demander quelle est la ligne de démarcation avec le libéralisme - fut-il de Gauche.

    De son côté, le Parti Socialiste doit cesser de croire ou faire croire à la division entre "réformistes" et "révolutionnaires", vieille distinction au sein du mouvement socialiste entre deux façons de concevoir le dépassement du capitalisme. Faut-il rappeler que l'anticapitalisme n'est plus au programme de la Gauche gouvernementale ?

    Bien des forces, du PS à l'extrême gauche, n'ont pas intérêt à la clarification du débat  qui remettrait en cause les lignes de clivage bien établies, qui sont autant de rentes politiques pour les uns et pour les autres. En particulier, on s'apercevrait qu'on ne peut fonder un clivage sur la radicalité, c'est à dire sur le fait d'être "plus ou moins" à Gauche. Introduire une grille d'analyse idéologique - socialisme contre libéralisme - ferait comprendre à quelle point une certaine "extrême Gauche", pétrie de libéralisme - n'est que la pointe avancée de la Gauche libérale. Un des enseignements pour le Front de Gauche, est que l'approfondissement de la voie authentiquement socialiste ne se confond pas avec la recherche d'un posture de "radicalité". Le mouvement Antifa a montré dernièrement que la radicalité se mesurait bien souvent au degré de bêtise et de simplisme politique.

     


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