• Bernard Cassen pour une rupture nationale

    "Grâce à l’UE et à l’euro, on peut parler d’une grande réussite dans la mise en œuvre du projet néolibéral. Pour l’instant…"

    "La fuite en avant européiste n’épargne pas une bonne partie de la gauche radicale. Selon elle, toute mesure que prendrait un gouvernement progressiste décidant unilatéralement de désobéir aux politiques néolibérales de l’UE aurait un caractère « nationaliste » et risquerait de faire le jeu de l’extrême droite."

    "Pour tous ceux qui estiment que la construction européenne doit être refondée sur des bases radicalement différentes de celles du traité de Lisbonne, cette rupture ne peut provenir que d’un gouvernement disposant d’un fort appui populaire national."

    Bernard Cassen, président d’honneur d’Attac

     

     

    Pour les vrais maîtres de l’Europe, l’UE et l’euro sont des réussites… - Septembre 2012. Extrait.

    (...) La création de l’euro, par le traité de Maastricht de 1992, a constitué un pas supplémentaire dans cette direction : elle a installé au cœur de l’UE une forteresse de la finance, la Banque centrale européenne (BCE), dotée de considérables pouvoirs et mise à l’abri de tout contrôle démocratique. La BCE réalise ainsi le fantasme de tout banquier central : être totalement indépendant du pouvoir politique, voire lui dicter sa politique. Il faut rappeler que la Bundesbank d’avant l’euro n’était pas complètement autonome par rapport au gouvernement allemand, pas plus que la Réserve fédérale ne l’est aujourd’hui par rapport à la Maison Blanche.

    Ce dispositif a été complété par la création de la « troïka » qui, outre la BCE, comprend deux structures tout aussi « indépendantes » : la Commission européenne et le Fonds monétaire international (FMI). Ce sont eux les vrais maîtres de l’Europe, et ils le font sentir sans ménagement aux Etats qui, l’un après l’autre, passent sous leur tutelle et sont rabaissés au statut de protectorats. C’est déjà le cas de l’Irlande, de la Grèce et du Portugal. Cela le sera sans doute bientôt de l’Italie, de Chypre, de la Slovénie et de l’Espagne. En attendant d’autres… Chose impensable il y a encore quelques années, le président de la BCE, Mario Draghi se permet, sans que cela provoque l’indignation générale, de dicter dans le détail aux gouvernements les mesures qu’ils doivent prendre pour « bénéficier » d’un plan de « sauvetage ». Une version européenne des plans d’ajustement structurel longtemps imposés aux pays du Sud par le FMI et la Banque mondiale…

    Dans son rapport mensuel publié le 9 août, la BCE exige la baisse des salaires (en particulier celle du salaire minimum) ; l’assouplissement, sinon le démantèlement, des lois de protection des travailleurs ; la fin de l’indexation des salaires sur l’inflation dans les pays où elle existe ; une législation favorable aux entreprises ; la suppression des entraves à la concurrence internationale, etc. Peu lui importe que ces recettes, déjà appliquées, pour tout ou partie, dans la plupart des pays, n’aient fait que provoquer la hausse du chômage et de l’endettement public, ainsi qu’une récession en voie de généralisation. Dissimulé derrière le prétexte de la crise, le véritable objectif est autre : il s’agit de détruire l’Etat social mis en place en Europe après le seconde guerre mondiale et d’y restaurer la toute-puissance du capital.

    Il est naïf de se contenter de déplorer l’échec de ces politiques, même si cet échec est total au regard de leurs objectifs officiellement affichés. Grâce à l’UE et à l’euro, on peut au contraire parler d’une grande réussite dans la mise en œuvre du projet néolibéral. Pour l’instant…



    Ce que cache l’idée de « saut fédéral » - Juillet 2012. Extrait.

    A cet égard, les résultats du récent Conseil européen vont donner lieu à une vaste opération de bourrage de crâne de l’opinion publique française. Pour faire ratifier un pacte budgétaire qui ligote les gouvernements de la zone euro, François Hollande va prétendre qu’il a obtenu en contrepartie un « pacte de croissance ». En fait, il s’agit de la compilation de mesures déjà dans les tuyaux de la Commission européenne et qui ne touchent en rien à l’essentiel, à savoir le rôle de la BCE et la mutualisation des dettes souveraines des Etats. Sur ces questions cruciales, Angela Merkel n’a pas cédé d’un pouce et doit bien sourire en entendant les cocoricos, pas très discrets, des entourages présidentiel et ministériels parisiens…

    (...) Dans cette situation d’incertitude, un thème commence à émerger subrepticement dans le débat public : celui d’un « saut fédéral » en matière budgétaire et fiscale. Il ne manque pas de logique apparente : puisque l’euro et les dettes publiques nationales ont une dimension systémique européenne, pourquoi ne pas prolonger la gestion de la politique monétaire unique (déjà assurée par la BCE) par une gestion de politiques budgétaires et fiscales - également uniques - assurée par une sorte de ministre des finances européen ?

    Sans surprise, les partisans de cette thèse occultent délibérément la question fondamentale, celle du contenu de ces politiques. Dans le rapport de forces actuel, il s’agit en fait d’imposer à tous les Etats celles actuellement conduites par la « troïka » : baisse des salaires et des retraites, bradage des entreprises publiques, démantèlement de la protection sociale. Une véritable régression « civilisationnelle » dont la droite et le capital rêvent depuis des décennies, mais que la divine surprise de la crise leur permet de mettre en place au nom de l’ « Europe ». Si les décisions structurantes de la vie des sociétés européennes sont ainsi placées hors de la capacité d’intervention des citoyens, on peut alors se demander à quoi serviraient encore des élections….

    Il est significatif que François Hollande ait annoncé que le pacte budgétaire européen serait prochainement soumis à ratification non pas par le peuple souverain, via un référendum, mais par un Parlement docile. Exactement ce qu’avait fait Nicolas Sarkozy pour faire adopter le traité de Lisbonne – clone du Traité constitutionnel européen – en tournant en dérision la volonté populaire exprimée par le « non » du 29 mai 2005. Une belle continuité qui ramène à ses justes proportions le fameux « changement » promis pendant la campagne électorale…



    Europe : la rupture doit d’abord être nationale - Novembre 2011. Extrait.

    Dans la plupart des pays d’Europe, la gauche radicale est très mal à l’aise avec la question nationale. (...)

    Depuis sa conversion au néolibéralisme, dans les années 1980, la social-démocratie a fait du mirage européen un alibi à son renoncement à toute transformation sociale nationale en profondeur : d’élection européenne en élection européenne, elle promet une « Europe sociale » dont la mise en place est constamment renvoyée aux calendes grecques. Et comment pourrait-il en être autrement dans le cadre de traités européens – qu’elle a votés avec enthousiasme – dont le principe directeur est la « concurrence libre et non faussée » et non pas la solidarité ?

    La fuite en avant européiste n’épargne pas une bonne partie de la gauche radicale. Selon elle, toute mesure que prendrait un gouvernement progressiste décidant unilatéralement de désobéir aux politiques néolibérales de l’UE aurait un caractère « nationaliste » et risquerait de faire le jeu de l’extrême droite. Tout comme la social-démocratie, mais pour des raisons différentes, cette gauche-là tend à jeter aux oubliettes le fait national. Pour agir (ou plutôt pour être certaine de ne pas pouvoir agir), la première attend l’improbable approbation des autres gouvernements. Quant à la seconde, qui se réclame de l’internationalisme - dont l’UE serait une version certes très critiquable, mais pouvant être améliorée -, elle considère que la tâche prioritaire n’est pas de prendre des initiatives nationales, mais de faire émerger un souhaitable, mais très hypothétique « mouvement social européen ».

    Avec le « printemps arabe » et les Indignés, l’histoire récente nous montre cependant qu’un mouvement social international ne peut se cristalliser et se développer de proche en proche qu’à partir d’une situation nationale de rupture. Pour tous ceux qui estiment que la construction européenne doit être refondée sur des bases radicalement différentes de celles du traité de Lisbonne, cette rupture ne peut provenir que d’un gouvernement disposant d’un fort appui populaire national. C’est cet acte inaugural qui, par-dessus la tête des autres gouvernements, sera un pôle de ralliement et de mobilisation des mouvements sociaux à l’échelle continentale.



    Pour une Europe qui intéresse les peuples - Juin 2011. Extrait.

    (...) On aurait pu penser que l’impasse où la crise de l’euro précipite une construction européenne déjà dénuée de projet aurait conduit ces européistes à revoir leur feuille de route et à changer de cap. Pas du tout. Ils nous disent que si l’Europe est malade c’est parce qu’il n’y a pas suffisamment d’Europe, de cette Europe-là.

    Nous sommes nombreux à penser, au contraire, qu’une autre Europe est possible, une « Europe qui intéresse les peuples » – pour reprendre la formule de De Gaulle, mais qu’elle doit reposer sur des fondations radicalement nouvelles. Il est strictement impossible de le faire de l’intérieur du dernier en date des traités, celui de Lisbonne, comme le prétendent les naïfs vrais ou faux. Tout simplement parce que ce traité est précisément un carcan conçu pour ne laisser aucune possibilité de sortie du néolibéralisme.

    (...) Le citoyen doit savoir quelles marges d’action le parti ou le candidat voudront bien se donner pour mettre en œuvre leur programme, étant entendu qu’aucune transformation sociale d’envergure n’est compatible avec le traité de Lisbonne.

    (...) Le candidat ou le parti sont-ils disposés à agir unilatéralement, et de quelle manière, en cas de verrouillage européen ? J’ai pu lire comme vous des propositions intéressantes, mais qui sont subordonnées à un accord des 26 autres membres de l’UE. Un accord que toute personne sérieuse sait impossible. Dans ces conditions, on peut multiplier les promesses, du type « et maintenant l’Europe sociale », en ayant la certitude ou la garantie qu’elles ne pourront pas être tenues. C’est du charlatanisme, de l’arnaque politique au carré.

    Bien sûr, il est souhaitable de rechercher les accords les plus larges et de n’agir seuls qu’en dernier recours. Que les candidats et les partis lèvent la main pour que l’on vérifie qu’elle ne tremblera pas !

    La dénonciation de l’unilatéralisme, qui est un des poncifs d’une partie de la gauche, de l’extrême-gauche et du mouvement altermondialiste, est une manière de reporter tout changement de cap aux calendes européennes, c’est-à-dire à un futur dont on sait qu’il n’adviendra pas.

    Le 29 mai, les citoyens français n’ont demandé à personne la permission de voter « non ». Ils ont été suivis quelques jours après par les Néerlandais, et tout porte à croire que cela aurait été le cas de la plupart des autres pays si on avait donné la parole à leurs peuples. Pour certains, cet acte d’émancipation est un mauvais souvenir. Pour nous, il est un précédent porteur d’espoir.



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