• Remember Daniel Cohen

    Il faut garder en mémoire les pronostics erronés des économistes réputés les meilleurs, surtout si ceux-ci se trompent. Daniel Cohen, en 2007, nous assurait dans une tribune du Monde, que "la crise de 1929 n'aurait pas lieu". Raté.

    Loin de vouloir s'acharner sur l'honorable professeur, il faut plutôt chercher à comprendre la raison de son erreur. Reconnaissons tout d'abord que le diagnostic de la crise financière liée aux subprimes est tout à fait juste. Il comprend qu'elle est une crise bancaire et financière de plus dans la série qui a commencé avec l'avènement du capitalisme financier. Elle devrait être aussi la dernière nous dit-il : "L'heure d'une redéfinition des objectifs de la politique monétaire, qui inclut désormais celui de prévenir les bulles financières et immobilières, vient de sonner."

    Il appelle à une nouvelle régulation de la finance. La puissance publique devra être la garante du fonctionnement correct du marché : "Il sera temps ensuite de laisser les marchés prendre leur perte. Car sans un peu de sang sacrificiel aux murs, Wall Street restera incorrigible ". Fin du dogme de l'autorégulation, mais retour à l'esprit de responsabilité du libéralisme... grâce à l'intervention avisée de l'Etat.

    Seulement, derrière cette crise locale, qui éclate sur un segment de marché, se cache une crise généralisée de la finance et de l'endettement dont Daniel Cohen a sous-estimé l'ampleur, de même qu'il a surestimé la capacité des dirigeants à imposer des règles au lobby bancaire.



    La crise de 1929 n'aura pas lieu, par Daniel Cohen - Août 2007. Texte Intégral.

    Comprendre la crise de 1929 est le Graal de l'analyse économique." Ces propos furent tenus par Ben Bernanke, l'actuel président de la banque centrale américaine, la Fed, du temps où, professeur d'économie, il était un spécialiste reconnu de la Grande Dépression américaine. L'interprétation qu'il en a offerte est dans la ligne de celle proposée par Milton Friedman et fait jouer un rôle crucial à la crise du système monétaire et financier. Elle est hélas éclairante sur la crise de cet été.
    M. Bernanke a montré, dans ses travaux de recherche, que les faillites bancaires ont anticipé, quasiment mois par mois, la plongée des Etats-Unis dans la crise des années 1930. Le cercle vicieux qui s'est mis en place est le suivant. Les déposants se méfiant, à tort ou à raison, des banques les plus vulnérables, retirent leurs dépôts et les poussent à la faillite. En trois ans, de 1930 à 1933, près de la moitié des banques américaines disparaissent. Les crises bancaires privent les débiteurs les plus vulnérables de refinancement, et les poussent à leur tour à la faillite. Sont directement touchés les paysans, les PME et les ménages. Leur défaut rétroagira sur les banques, accélérant la spirale. Pour ne prendre qu'un exemple extrême, à Cleveland, plus de 60 % des ménages endettés se mettront en cessation de paiement.
    Revenons à présent à la crise de cet été. A l'image du processus à l'oeuvre dans les années 1930, les meilleures banques ont refusé de refinancer celles qui leur paraissaient menacées. A l'inverse des années 1930 toutefois, où la Fed tardera à saisir l'ampleur de la crise, les banques centrales ont réagi promptement. La BCE a injecté à elle seule plus de 250 milliards d'euros. L'idée selon laquelle les Banques centrales doivent jouer le rôle de "prêteur en dernier ressort" a donc ici parfaitement fonctionné.
    Comment en est-on arrivé à un tel point de méfiance ? Reprenons brièvement la séquence. Le système des crédits hypothécaires américains est très favorable aux emprunteurs. Il permet à un ménage déjà endetté de souscrire un nouvel emprunt aussitôt qu'augmente la valeur de son bien immobilier. Tout va bien tant que les prix montent. Les ménages bénéficient d'une hausse de leurs ressources directement indexée sur le prix de l'immobilier. Tout s'inverse lorsque les prix commencent à baisser. Les ménages dont l'encours de la dette se révèle supérieur à la valeur du bien acheté peuvent immédiatement arrêter de la rembourser, laissant à leurs créanciers une hypothèque dévaluée. C'est le processus qui est à l'oeuvre aujourd'hui pour les plus mauvais risques, les subprimes.
    La crise de cet été est différente de celle de 1929 à plusieurs égards. Les prêteurs, tout d'abord, ont dilué leurs propres risques en revendant leurs créances à d'autres établissements. Cette mutualisation est a priori une bonne chose. En fractionnant les créances et en en faisant porter le risque par l'ensemble de la communauté financière, on réduit le risque de faillites retentissantes. L'envers de cette stratégie est toutefois de générer une incertitude sur la qualité des créances. Ce n'est pas la même chose, tout d'abord, d'accorder un crédit en sachant qu'on la passera immédiatement à un autre et de faire un prêt qu'on devra recouvrer soi-même. Outre la négligence ainsi provoquée, il semble avéré que des fraudes aient été commises. Certains prêteurs auraient artificiellement gonflé la solvabilité de leurs clients, pour accroître leurs chiffres d'affaires.
    L'autre source de méfiance à l'égard de la qualité des titres concerne les méthodes utilisées pour en canaliser le risque. Avec l'aide des agences de notation, les investisseurs ont fabriqué des instruments réputés sans risque, notés AAA. Ils se sont servis pour ce faire de modèles mathématiques sophistiqués, prédisant la probabilité de défaut de tel ou tel type de créance, de façon à en extraire la part la moins risquée. Ces modèles sont certainement performants en temps normaux, mais, selon The Economist, ils ont pourtant conduit Goldman Sachs à fermer un fonds dont la probabilité de défaut avait été estimée à 1/10138 !


    MÉFIANCE GÉNÉRALE


    A la méfiance des déposants sur la qualité des banques dans les années 1930 s'est ainsi substituée cet été celle des banques elles-mêmes sur la valeur des actifs détenus par leurs collègues. Or, il n'est de pire risque que celui que déclenche une méfiance générale à l'égard du système bancaire. C'est en tout cas la leçon que les Banques centrales ont très justement retenue de 1929. Le problème qui rend toutefois la crise actuelle paradoxale est le suivant : l'une de ses causes majeures tient aux efforts déjà faits au cours des vingt dernières années pour éviter sa répétition !
    La crise de cet été est en effet le point culminant d'un cycle ouvert lorsque Alan Greenspan vient aux affaires, en 1987. Immédiatement confronté à un krach majeur, il réagit en inondant l'économie américaine de liquidités. En inculquant ainsi aux investisseurs l'idée qu'il ne les laissera pas tomber en cas de difficultés, ce qu'il démontrera à nouveau en 1998 après la faillite du fonds LTCM, il déclenche une période d'exubérance qui débouchera sur la bulle Internet tout d'abord, et la bulle immobilière ensuite.
    Si le "maestro" a rempli son mandat vis-à-vis de l'inflation et de la croissance, la crise de cet été jette un éclairage plus sombre sur son héritage. L'heure d'une redéfinition des objectifs de la politique monétaire, qui inclut désormais celui de prévenir les bulles financières et immobilières, vient de sonner.
    Le dilemme semble dès lors être le suivant. Soit, à l'image de Greenspan, on veut à tout prix éviter que la crise de cet été ne s'aggrave. En ce cas, il faudra baisser les taux d'intérêts. Soit, on veut surtout éviter d'engager un nouveau cycle de crises financières, et il faut en ce cas maintenir le cap de la politique courante. On aimerait meilleur choix : 1929 aujourd'hui ou demain...
    Ce n'est heureusement pas si mécanique. Le mieux pour échapper à ce dilemme est sans doute d'opter pour une séquence en deux temps : rassurer d'abord, punir ensuite. Le calme ne semblant pas revenu pour l'instant, il est préférable de mener, à court terme, une politique accommodante. Il sera temps ensuite de laisser les marchés prendre leur perte. Car sans un peu de sang sacrificiel aux murs, Wall Street restera incorrigible. C'est évidemment plus facile à dire qu'à faire. Mais il est rare de gagner facilement sa place dans les livres d'histoire.

    Le Monde


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  • Commentaires

    1
    BA
    Jeudi 10 Mai 2012 à 21:35

    Les soi-disant "grands économistes français" sont nuls. Il faut lire et relire "Les imposteurs de l'économie" de Laurent Mauduit, qui vient de paraitre aux éditions Jean-Claude Gawsewitch.

     

    C'est le livre de l'année 20012.

     

    Vendredi 4 mai 2012 :

     

    Le fonds souverain norvégien s'est débarrassé au cours du premier trimestre 2012 de la majorité des obligations souveraines dépréciées qu'il détenait au sein de la zone euro.

     

    Le fonds a vendu ses obligations souveraines portugaises et irlandaises, et a également réduit ses investissements dans les dettes de plusieurs pays, dont l'Italie et l'Espagne, a précisé son directeur général Yngve Slyngstad.

     

    http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2012/05/04/97002-20120504FILWWW00583-la-norvege-se-mefie-de-la-zone-euro.php

     

    Jeudi 10 mai 2012 :

     

    China Investment Corporation ne veut plus de dette de la zone euro.

     

    « Nos équipes cherchent toujours des opportunités d'investissement en Europe, mais nous ne voulons plus acheter d'emprunts d'Etat »... La remarque serait anodine si elle provenait d'un investisseur lambda. Le problème est qu'elle a été formulée par le président de l'un des principaux fonds souverains chinois, China Investment Corporation (CIC). Créé en 2007, celui-ci gère la bagatelle de 440 milliards de dollars, ce qui le positionne comme le cinquième plus gros fonds souverain au monde selon le Sovereign Wealth Fund Institute.

     

    S'agit-il d'une volte-face des autorités chinoises ? En février, le gouverneur de la banque centrale, Zhou Xiaochuan, indiquait que l'institution était prête à investir dans les fonds de sauvetage européens et qu'elle continuerait à acheter de la dette souveraine de la zone euro. Pas forcément. En effet, CIC n'est pas le seul fonds souverain chinois et, contrairement au fonds SAFE (State Administration of Foreign Exchange), sa priorité n'est pas d'investir sur le marché obligataire. Fin 2010, les obligations représentaient seulement 27 % de son portefeuille.

     

    Nombreux sont les investisseurs qui, à l'instar de CIC, se tiennent à l'écart de la dette des pays de la zone euro, depuis que la tension est montée d'un cran, suite aux élections législatives en Grèce, qui ont composé une chambre à la fois sans majorité et dominée par les opposants aux plans de rigueur dictés par l'Europe.

     

    Selon un sondage effectué par Bloomberg auprès de quelque 1.500 investisseurs, analystes et traders, 57 % des opérateurs de marché estiment qu'au moins un pays aura abandonné l'euro d'ici à la fin de l'année. 80 % d'entre eux s'attendent à une détérioration de la situation sur le marché obligataire. 

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