• "Un candidat se dégage à nos yeux, le plus apte à redresser la France et rassembler les Français. Ce candidat, c'est François Hollande."

    De nombreux économistes décident, dans une tribune publiée en avril dans le grand quotidien du soir, de rendre public leur soutien au candidat Hollande. Il est intéressant de constater que le champ des sensibilités idéologiques est largement représenté, puisque on trouve des économistes venant du centre-droit libéral (Jacques Mistral, rejoint plus tard par Jacques Delpla), de la gauche libérale, et enfin d'une gauche plus traditionnelle (Piketty, Aglietta).

    Parmi les nombreux signataires, 2 économistes ont attiré notre attention. Elie Cohen (Sciences Po Paris), et Philippe Aghion (professeur à Harvard) font partie des économistes que Le Nouvel Observateur avait présentés comme appartenant à la garde rapprochée de François Hollande. Ils sont les portes drapeaux d'une gauche libérale, qui se veut "moderne".

    * * *

     

    Depuis longtemps, Elie Cohen chante les louanges de la finance dérégulée. Comme il l'explique en 2005 à la Revue Socialiste "à chacune de ces crises, on a pu constater la très grande résilience du système, sa capacité à absorber les chocs économiques", en particulier grâce aux subprimes et à la titrisation qui "saupoudrent en pluie fine [le risque] sur l’ensemble de la population".

    Mais attention ! il n'oublie pas qu'il est politiquement "de gauche" :

    Je pense qu’il est difficile dans un contexte de fort chômage de libéraliser le marché du travail (...) même si je suis par contre favorable à une nouvelle libéralisation des marchés des biens et services d’une part du capital d’autre part."

    Ah si, dans un rapport au CAE il s'est toutefois égaré:

    En même temps, davantage de flexibilité sur le marché du travail devrait naturellement permettre de réduire le chômage de long terme.

    Dans ce même rapport Politique économique et croissance en Europe, rédigé en 2006, en collaboration avec un  économiste prestigieux, Philippe Aghion, professeur à Harvard, lui aussi inspirateur de la politique de notre nouveau président de gauche, on trouve quelques professions de foi libérale - pardon des résultats scientifiques bien établis :

     "Nous plaidons donc pour que l’achèvement du marché unique des services financiers soit tenu pour une priorité de premier rang et ne soit pris en otage ni par le nationalisme économique, ni par l’oligopole des régulateurs nationaux."

    On se doute qu'un an plus tard après la publication du rapport, la crise aura quelques peu fragisée la démonstration.

    En août 2007, finalement Elie Cohen s'aperçoit que le système a engendré à partir de 2001, une bulle immobilière. Mais rassurons-nous :

    "Dans quelques semaines, le marché se reformera et les affaires reprendront comme auparavant."

    "L'existence de crises périodiques liées à un actif précis (l'immobilier, après internet ou les pays émergents) est devenue l'un des grands modes de régulation de l'économie mondialisée. Tout se passe comme si le système avait périodiquement besoin d'une crise pour retrouver le sens des grands ordres de valeur économiques. (...) Il faut s'habituer à l'idée qu'elles ne constituent pas des cataclysmes mais des méthodes de régulation d'une économie mondiale que l'on n'arrive pas vraiment à encadrer par des lois ou des politiques."

    En sommes, rien de bien grave, cela fait partie caractère cyclique du capitalisme et gardons-nous toute surréaction politique à cette crise :

    "S’agissant de l’avenir, les bons esprits disent qu’il faut plus de transparence et plus de régulation (...) Je suis un partisan de la régulation, mais en en connaissant les limites".

    Et on se doute que pour Elie Cohen, les limites sont vite atteintes.

    En 2008, dans le documentaire à vocation pédagogique au titre un tantinet péremptoire vu de 2012 : "Bulles, krachs et rebonds" le ton est moins enjoué :

    "Plus on avance, plus les crises sont dangereuses. Si on ne trouve pas les moyens de les traiter, alors on risque d'arriver à une situation où les opinions publiques remettrons en cause les trois dynamiques qui sont à la base du développement économique et financier :  la libéralisation, l'innovation financière et la globalisation"

    Autrement dit, ça devient sérieux, il va falloir se bouger le popotin si on veut sauver la mondialisation de la menace populiste.

    Très attaché au régime néolibéral, il comprend que les politiques d'austérité risquent de mener l'économie à la ruine et soutient une politique budgétaire et monétaire moins restrictive. Ayant définitvement abandonné toute pudeur, il réclame "des réformes structurelles" - comprendre dérégulation des marchés des biens, des services et du marché du travail, en lesquelles il voit, en dévôt du marché concurrenciel, des recettes miraculeuses pour libérer pour la croissance.

    Regardons le communier dans sa foi libérale avec Alain Madelin qui, réjoui par le discours de son compère, lance tout de go : "Quand le gouvernement d'Hollande fait ma politique je suis content":

     

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  • Selon Michel Aglietta, les erreurs de la gouvernance européenne menacent de faire éclater la zone euro. En effet, étant donné l'absence de solidarité réelle au sein de la zone euro, les pays affectés pas la crise, au premier rang desquels figure la Grèce, devront se poser la question, si cette situation perdurait, de leur appartenance à la zone euro.

    Ni l'intervention de la BCE, ni les restructurations bancaires et souveraines - nécessaires - ne seront suffisantes si on veut durablement surmonter la crise. Michel Aglietta évoque deux possibilités : l'union de transfert - par mutualisation de la dette - mais surtout la réindustrialisation de la périphérie afin d'éviter les effets pervers de la polarisation de l'activité économique au sein de la zone.

    Mais surtout, c'est un nouveau régime de croissance qu'il s'agit d'inventer pour relever le défi de la crise écologique - on ne peut manquer de faire un parallèle avec le plan Marshall finançant la reconstruction de l'après guerre. Une véritable politique industrielle à l'échelle européenne consisterait à orienter l'épargne via des intermédaires financiers publics, assis sur des fonds issus de la taxe carbone et émettant des obligations, le tout pour financer une croissance verte, orientée vers la réindustrialisation du sud.

    La question que ne traite malheureusement pas Aglietta est celle de la possibilité de réalisation d'une telle utopie. S'il est convaincant dans son rôle d'économiste conseiller du prince, en revanche, on aurait aimé qu'il nous donne des motifs de croire que les bouleversement sociaux-politiques en cours fassent émerger des acteurs européens capables de se saisir d'un tel projet. Or les évolutions récentes tendent plutôt à renforcer la thèse de la fragilité institutionnelle de l'UE et d'un délitement progressif face aux chocs de la crise économique.

    En somme, en amont des préconisations de Michel Aglietta, il manque une économie politique qui ancre le discours de l'économiste-idéaliste dans le monde social.

     

    Michel Aglietta : Pour une euro-fédération

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  • En 2002, la crise argentine atteignait son paroxysme avec la fin de la parité fixe du peso avec le dollar. Les deux textes que Joseph Stiglitz écrivit à l'époque, expliquant les enchaînements de la crise et les erreurs commises, offrent un parallèle confondant avec la  situation actuelle en Grèce. Un texte de juin 2012 de l'Office Français des Conjonctures Economiques s'inspire du scenario argentin pour imaginer celui d'un retour au drachme. 

    Tout comme la Grèce, l'Argentine a été la "bénéficiaire" de plan de sauvetage par le FMI consistant en des prêts en contrepartie de mesures d'austérité :

    L'austérité fiscale devait rétablir la confiance. Mais les chiffres des programmes du FMI n'étaient que fiction. Tout économiste digne de ce nom aurait pu prédire que les politiques de réductions fiscales allaient inciter un ralentissement, et que les objectifs du budget ne seraient pas atteints. Inutile de préciser que le programme du FMI ne remplit pas ses engagements. La confiance se rétablit rarement quand l'économie entre dans une récession profonde avec un taux de chomâge à deux chiffres. (Stigiltz)

    Finalement, suite à l'échec du plan, un gouvernement "révolutionnaire" arriva au pouvoir et congédia le FMI en annnulant la dette :

    L'écroulement de l'économie argentine est à l'origine de la plus importante cessation de paiement de toute l'histoire. Tous les experts sont d'accord pour affirmer qu'il ne s'agit que du dernier épisode dans un ensemble de politiques de subventions orchestrées par le FMI, qui a ainsi gaspillé des milliards de dollars sans parvenir à sauver les économies que ces subventions devaient aider. (Stiglitz)

    Déjà à l'époque, plutôt que d'admettre l'absurdité de la politique économique menée par les banquiers internationaux, la propagande s'acharna sur la corruption d'un pays impropre à la bonne gouvernance. On pense fortement à ce que la Grèce subit chaque jour comme insulte de la part de ses "sauveurs" : 

    Le FMI travaillera d'arrache-pied à se débarrasser de ces accusations : on parlera de corruption, ou du manque d'engagement argentin dans les mesures appropriées. (Stiglitz)

    Finalement, grâce à la dévaluation à près de 70% du peso couplé à la répudiation de la dette, la situation s'améliore rapidement, malgré l'effondrement initial : 

    Avec une croissance nominale de 9 % par an et une inflation maîtrisée, l’Argentine a finalement récupéré son niveau d’avant-crise en 2004. Comment l’Argentine est-elle sortie du dollar  « par le haut » ? (OFCE)


    Pour Stiglitz la clé de la réussite, une fois délesté du fardeau de la dette, est le retour d'une politique de croissance axée sur le financement de projet privé et public.

    La situation est simple : les ressources réelles de l'Argentine, ses citoyens, avec leur degré élevé de talents et de compétences, son sol fertile, ses biens d'équipement, demeurent. L'économie doit être réactivée et les politiques gouvernementales doivent se concentrer sur cette tâche. Si le secteur privé ne parvient pas à améliorer la disponibilité du crédit à lui seul et qu'aucun pays voisin ne se présente pour l'aider, comme l'a fait le Japon en Asie orientale, le gouvernement doit jouer un rôle plus actif dans la restructuration des établissements de crédit existants et dans la création de nouveaux établissements. (...)

    Centrer l'attention sur la réactivation précise pourquoi l'accent placé sur les crédits du FMI se révèle peu judicieux. Les crédits du FMI serviront à rembourser ce dernier et non à réactiver l'économie.


    Mais l'OFCE, dans un texte, une fois n'est pas coutume, d'économie politique quasi marxiste, explique que le choix du redressement ne peut passer que par une spoliation des détenteurs de capitaux, en particulier internationaux :

    Après le secteur public qui a déjà restructuré 50 % de sa dette, le retour à la drachme, toutes choses égales par ailleurs, fera émerger des conflits financiers entre créanciers et débiteurs privés qui paralyseront le système de paiement. (...) L’option poursuivie jusqu’ici a consisté à répartir le coût de la résolution de la crise grecque sur les créanciers d’une part, via la restructuration de la dette publique, et sur les débiteurs d’autre part, via les efforts structurels (réduction des salaires et transferts sociaux) et l’augmentation de la pression fiscale. A contrario, une sortie de la zone euro accompagnée d’une restructuration des dettes privées et publiques « façon Argentine » imposerait le coût de la résolution davantage aux créanciers, principalement le reste de l’Europe. Cela explique le regain de tension dans les propos de certains pays européens créanciers à l’égard de la Grèce, ainsi que la confusion qui règne dans le débat européen actuel : en l’absence d’une solution optimale aux effets neutres, chaque partie défend ses propres intérêts au risque d’y laisser la peau de l’euro.

    C'est pourquoi Jacques Sapir, l'économiste proche du Front de Gauche, se place dans l'optique dans laquelle se trouverait Syriza si jamais ce parti accédait au pouvoir. Il montre que la Grèce, si elle le souhaite, possède des moyens de pression, par sa capacité à créer de la monnaie euro, pour renégocier à son avantage les plans actuels. A défaut, elle a les moyens de sortir de l'euro :

    Elle pourrait, avant la disparition de l’Euro, se servir de cet argent pour fonder une banque publique qui reprendrait le crédit aux entreprises et aux particuliers dans une situation où sa compétitivité aurait été restaurée.

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  • Je vais garder la Grèce dans la zone euro et de restaurer la croissance, par Alexis Tsipras, président de la Coalition de la Grèce Syriza - Juin 2012. Extrait de la tribune dans le Financial Times.
    Qu'il n'y ait aucun doute, mon mouvement - Syriza - s'est engagé à maintenir la Grèce dans la zone euro. (...)

    Syriza est le seul mouvement politique aujourd'hui en Grèce qui peut assurer la stabilité économique, sociale et politique pour notre pays. La stabilisation de la Grèce dans le court terme profitera à la zone euro à un moment critique de l'histoire de la monnaie unique. Si nous ne changeons pas de chemin, l'austérité menace de nous conduire hors de l'euro, avec une certitude encore plus grande.

    Seul Syriza peut garantir la stabilité grecque, parce que nous ne portont pas le fardeau politique des partis de l'establishment qui ont conduit la Grèce au bord du chaos. (...)
    Le peuple de Grèce veulent remplacer l'ancien memorandum, qui a échoué (signé en mars avec l'UE et le Fonds monétaire international) par un "plan national de reconstruction et de croissance". Cela est nécessaire à la fois pour éviter une crise humanitaire de la Grèce et de sauver la monnaie commune.

    (...)  Ce dimanche nous allons apporter la Grèce dans une nouvelle ère de croissance et de prospérité.

    Traduction tout personnelle, soyez indulgents

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  • La politique d'austérité a lamentablement échoué en Grèce, comme il était prévisible. La dette ne fait qu'augmenter, tandis que le pays s'enfonce dans une spirale dépressionniste.

    Cela fait un bail que pour Patrick Artus, Chef économiste chez Natixis, "les plans de rigueur empilés n’ont plus aucun sens". On ne trouvera plus beaucoup d'économistes sérieux pour soutenir le contraire.

    En réalité l'austérité imposée par l'Allemagne n'a pas pour but de sauver l'économie grecques mais de protéger les banques europénnes, comme l'explique Paul Krugman parmi tant d'autres :

    "On impose à la Grèce une austérité d'un niveau mortel afin qu'elle paye ses créanciers étrangers "

    Même son de clôche dans le jounral allemand Die Zeit qui reconnait que Merke défend les intérêts de son pays avant tout :

    "Ce n’est pas la Grèce qui profite le plus des programmes de sauvetage de l’euro : c’est l’Allemagne. Si la Grèce fait faillite, les banques allemandes (aussi) perdront des milliards, aux frais du contribuable allemand."

    Cette politique à courte vue, otage des lobbys financiers risque d'entrainer l'europe dans le gouffre, comme s'en désole Karine Berger, économiste proche du Proche du Parti Socialiste : 

    "La honte et l’hypocrisie auront sans doute déjà emporté l’Union européenne quand la Grèce sortira de son chaos politique. Les jeux sont faits : le jour où les deux principaux dirigeants européens ont accepté d’attendre jusqu’à 4 heures du matin, dans la pièce à côté, que 3 banquiers veuillent bien se mettre d’accord sur un abandon de dette, l’Europe a capitulé"

    Tous les économistes reconnaissent maintenant la nécessité d'organiser une restructuration de la dette grecque  et de renégocier le mémorandum. Charles Wyplosz écrit ainsi : 

    "Il aurait fallu laisser la Grèce aller au FMI dès le début et organiser une restructuration de sa dette. Cette restructuration aurait pu être de taille modeste, car la dette était alors relativement faible et la situation pas encore dégradée. Mais l’Allemagne et la France n’en ont pas voulu, car leurs banques auraient subi des pertes, en fait relativement modestes. Ces deux pays ont préféré violer le traité et organiser un « sauvetage » de la Grèce qui consistait à lui octroyer des prêts, donc à augmenter sa dette, en échange d’une politique d’austérité absurde vouée à l’échec."

    Même chose pour Jacques Delpla, pour qui "la restructuration de la dette grecque est aussi arrivée trop tard et a été trop partielle". Or il est impératif de "se délivrer de dettes qui menacent de les noyer dans un scénario noir des années 1930". Preuve de l'absurdité de la situation, cet économiste proche de la droite libérale donne raison au parti "d'extrême gauche" anti-austérité, dénonçant dans cet article (il se rétractera plus tard) les pressions exercées par les dirigeants européens à son encontre :

    "Les dirigeants européens essaient aujourd’hui de faire peur aux électeurs grecs pour qu’ils élisent un « bon » gouvernement qui acceptera de poursuivre la stratégie d’austérité à marche forcée qui a échoué de façon si spectaculaire. Pour éviter des pertes, ils veulent continuer à contrôler la politique économique de la Grèce en ignorant la souffrance économique et sociale qu’ils imposent à la population.(...) Syriza menace d'un défaut sur l'ensemble de la dette publique tout en restant dans l'euro. C'est chaotique mais intelligent de leur part". 

    Daniel Cohen, en bon keynésien, à l'inverse de l'austérité imposée, préconise un "plan de croissance vigoureux", alimenté par des investissements européens, à défaut duquel il reconnaît que la Grèce aurait intérêt à sortir de l'euro plutôt que de s'infliger une rigueur inefficace.

    Wyplosz et Cohen craignent que les Européens fassent l'erreur de refuser toute réorientation de la politique d'austérité, et que la BCE cesse de soutenir les banques en faillite. La Grèce serait alors contrainte de sortir de l'euro pour éviter le désastre bancaire. La contagion se propagerait alors au reste de la zone, qui menacerait d'exploser. 

    Au contraire, pour Delpla la menace d'une expulsion de la Grèce n'est pas crédible, d'une part car les Européens n'ont pas intérêt à voir s'effondrer l'économie du pays :

    "jamais la BCE, ni la Commission, ni l'Allemagne ne pousseront la Grèce à la faillite complète, au collapsus et à la famine. La menace de couper tous les prêts de l'UE envers la Grèce n'a aucune crédibilité". 



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  •  

    Désigner par le nom de fraternité universelle l'exploitation à son état cosmopolite, c'est une idée qui ne pouvait prendre origine que dans le sein de la bourgeoisie.

    Comme la plupart des Anglais, j’ai été élevé dans le respect du libre-échange, considéré non seulement comme une doctrine économique qu’aucune personne rationnelle et instruite ne saurait mettre en doute, mais presque comme une composante de la morale. (...) C’est un long processus, que celui de s’arracher à des modes de pensée qui étaient ceux d’avant la guerre, ceux du XIXe siècle.

    On a véritablement de la peine à comprendre la prétention des libre-échangistes, qui s'imaginent que l'emploi plus avantageux du capital fera disparaître l'antagonisme entre les capitalistes industriels et les travailleurs salariés. Tout au contraire, tout ce qui en résultera, c'est que l'opposition de ces deux classes se dessinera plus nettement encore.

    Le capitalisme international et néanmoins individualiste, décadent mais dominant depuis la fin de la guerre, n’est pas une réussite. Il n’est ni intelligent, ni beau, ni juste, ni vertueux, et il ne tient pas ses promesses. En bref, nous ne l’aimons pas et nous commençons à le mépriser. Mais quand nous nous demandons par quoi le remplacer, nous sommes extrêmement perplexes. (...)

    Pour de multiples raisons que je ne peux développer ici, l’internationalisme économique, avec ce qu’il comporte de libre mouvement de capitaux et de fonds à investir, aussi bien que de libre échange de marchandises, peut condamner mon propre pays, pour une génération, à un niveau de prospérité matérielle inférieur à celui qu’il pourrait atteindre dans un système différent.

      Mais en général, de nos jours, le système protecteur est conservateur, tandis que le système du libre-échange est destructeur. Il dissout les anciennes nationalités et pousse à l'extrême l'antagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat. En un mot, le système de la liberté commerciale hâte la révolution sociale. C'est seulement dans ce sens révolutionnaire, Messieurs, que je vote en faveur du libre-échange. 

    Je me sens donc plus proche de ceux qui souhaitent diminuer l’imbrication des économies nationales que de ceux qui voudraient l’accroître. Les idées, le savoir, la science, l’hospitalité, le voyage, doivent par nature être internationaux. Mais produisons chez nous chaque fois que c’est raisonnablement et pratiquement possible, et surtout faisons en sorte que la finance soit nationale. Cependant, il faudra que ceux qui souhaitent dégager un pays de ses liens le fassent avec prudence et sans précipitation. Il ne s’agit pas d’arracher la plante avec ses racines, mais de l’habituer progressivement à pousser dans une direction différente. (...)

    La transition économique d’une société doit être menée lentement. Les arguments que je viens de développer ne portent pas sur une révolution brutale, mais sur une tendance séculaire.

    Karl Marx

    John Maynard Keynes

     

     

     

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  • "Waouh – une autre banque renflouée, cette fois en Espagne. Qui aurait pu prévoir ça ? Tout le monde, bien entendu. En fait, toute cette histoire ressemble de plus en plus à un sketch : l’économie est sur une pente descendante, le chômage est très élevé, les banques ont des problèmes, les Etats se précipitent à leur secours – mais c’est pourtant toujours les banques qui sont sauvées, jamais les personnes au chômage."

     Paul Krugman, Juin 2012


    "Nous avons un problème systémique devant nous" alerte le président de la Commission Européenne. Ce SOS, lancé en direction des capitales européennes, sonne comme une sentence pour la gouvernance européenne des deux dernières années. Ce mois de juin 2012, les taux d'intérêt sur les dettes espagnole et italienne atteignent des sommets, et tous les regards sont tournés vers l'élection du 17 juin, cruciale pour l'avenir de l'euro, non pas celle en France, mais bien celle en Grèce, ce petit pays dont la crise multiforme aura suffit à déstabiliser l'ensemble de la zone euro.

    Rappelons que l'Europe est confrontée à une crise de même nature que celle qui a touché les Etats-unis en 2008. Si la panique financière venue d'outre-altlantique a servi de détonateur, les malheurs de l'Europe sont dus à ses propres errements ; son secteur bancaire, fautif, a aussi ses subprimes : bulle immobilière irlandaise, espagnole, endettement public grecque et italien... (la France est un mix des deux).

    A problème identique - crise de la dette - même réponse dramatique qui condamne à terme les deux stratégies - européenne et américaine - à l'échec : au lieu de faire le ménage pour de bon, la puissance publique est intervenue pour sauver les banques et garantir les dettes. Certes, les structures institutionnelles ne sont pas les mêmes, de sorte que les politiques de "sortie de crise" sont fortement divergentes : politique monétaire et budgétaire expansive aux Etats-Unis, austérité en Europe. La zone euro de Merkozy va dans le mur plus rapidement que l'Amérique d'Obama.

    Ainsi, en Europe comme partout, le premier mouvement a été, depuis le déclenchement de la crise de 2008, de transférer les dettes privées aux Etats. Toutefois, en l'absence de fédéralisme, la mutualisation de la dette publique n'a pas été automatique, via par exemple l'intervention d'une banque centrale prêteuse en dernier ressort, comme aux Etats-Unis. C'est pourquoi, très vite, trois Etats de la périphérie se sont retrouvés en difficultés : la Grèce, l'Irlande, et le Portugal. Ce n'est qu'à mesure que la crise gagnait en intensité que s'est fait le transfert de la dette périphérique aux institutions quasi-fédérales (FESF, BCE) adossées en définitive au centre allemand. "En contrepartie" du sauvetage du système bancaire européen, le couple Merkozy imposait un peu d'austérité à leurs propres électeurs, beaucoup plus aux peuples des petits Etats périphériques.

    La mutualisation des dettes est présentée à tort en France comme une alternative à l'austérité. Or le plan - pour nos dirigeants - est de combiner les deux selon une logique imparable : transférons la dette, à l'origine éparpillée chez de multiples acteurs publics et privés menaçant de faire faillite, à une structure centrale, publique, permettant de sanctuariser la dette et de rassurer ainsi "les marchés", c'est-à-dire les détenteurs du patrimoine financier. Protégeons les rentiers, principalement ceux du centre (les Allemands) et faisons payer, par l'austérité généralisée, la facture aux contribuables et aux salariés, à commencer par ceux de la périphérie. Evidemment, tout cela s'accompagne d'une propagande visant à masquer la réalité du renflouement des banques - qui pourrait être mal vue par les citoyens européens, en le faisant passer pour une "aide" aux peuples du sud.

    Il ne faudrait pas conclure de tout cela que nos dirigeants seraient mus par des intentions malveillantes. Dans un contexte difficile, le couple franco-allemand qui mène la danse - disons surtout les Allemands - veille d'abord à ne pas compromettre l'équilibre politique interne à leur nation, tant pis pour les petites nations si elles sont la variable d'ajustement. On voit d'ailleurs que l'Espagne et l'Italie sont traitées (un peu) moins durement que les 3 nations périphériques. Question de rapport de force.

    Les responsables politiques en place veulent préserver au maximum le système tel qu'il est, parce qu'il est le reflet du compromis social qui les a porté au pouvoir. Malheureusement pour eux, la crise est le moment où le statu quo devient intenable et où les intérêts de l'oligarchie financière des puissances dominantes rentrent en conflit frontal avec ceux de "la classe moyenne", alors qu'ils avaient jusqu'alors, cahin caha, cohabités. En raison de la profondeur de la crise, les plans d'austérité n'ont pas réussi à endiguer l'accroissement de la dette tandis qu'ils ont largement contribuer à accroître le chômage et la précarité économique.

    Le plan A est un échec et Barroso s'affole. La trajectoire de désendettement global n'est tout simplement pas crédible. Bien sûr, on peut encore peut-être tirer sur la corde - c'est ce que traduisent les appels au "fédéralisme" : il s'agit de finaliser la mutualisation de la dette à l'échelle européenne en contrepartie d'une austérité généralisée - la France est maintenant explicitement visée par les déclarations du ministre de l'économie allemand. Malgré tout, le point de rupture est atteint et quelque chose doit céder. Dans ce cas, quelle forme prendra le plan A' ?

    La première option est de basculer sur un équilibre politico-économique à l'américaine, comme semble l'espérer la gauche française. Le niveau fédéral américain réussit, pour un moment encore, à prolonger le compromis néolibéral. Le deal a été de socialiser le paquet de créances - ou de dettes selon le point de vue - possédées par les riches tout en maintenant des taux d'intérêt très faibles grâce à l'intervention toujours plus soutenue de la FED. Par ce biais, le sauvetage des banques ne se paie pas par des coupes dans les budgets sociaux. Mais ce compromis social est extrêmement instable car il est difficile de prévoir sur quoi débouchera cette fuite en avant de la monétisation des dettes.

     

    "Nous avons un problème systémique devant nous" ou l'échec du plan A, Par Coma81

    Source : BNP

     

    Cette non-solution est-elle transposable en Europe ? Il faudrait pour cela que les Allemands acceptent un rôle accru de la BCE. Quelles garanties - en termes de transfert de souveraineté à une institution fédérale - voudront-ils négocier ? Sachant qu'au bout de la route il y a le mur de la dette et, au mieux, la stagnation économique, on ne voit pas très bien pourquoi nos hommes politiques voudraient se donner la peine de mettre au point cette usine à gaz fédérale, et de courir le risque d'un désaveu démocratique.

    C'est pourquoi de plus en plus de voix s'élèvent pour opter pour une autre solution - repoussée jusqu'à présent par nos responsables qui répugnent à affronter le lobby bancaire, mais la seule qui vaille si on veut un jour sortir de cette crise de part et d'autre de l'Atlantique : la restructuration du secteur bancaire.

    La question qui se pose en ce mois de juin est de savoir si nos dirigeants auront le courage de prendre les mesures qui s'imposent pour réduire la dette et réorganiser le fonctionnement du secteur bancaire. Faute de quoi, le plan B, c'est à dire la fin de l'euro, qui a la faveur de l'auteur de ces lignes, pourrait se réaliser plus vite que prévu.

     

    Ci dessous, une revue de presse très rock n' roll :

    Nigel Farage, député européen anglais de la droite eurosceptique, fait son show habituel - très efficace pour montrer les limites de la logique européenne actuelle. Suit François Lenglet qui explique avec pédagogie aux rentiers qu'il faudra qu'ils passent à la caisse.

    Puis 4 textes, tous sur le même sujet : il faut restrusturer les banques. Bonne nouvelle, Alter Eco se réveille sur le sujet, Krugman très efficace comme à son habitude et Daniel Gros, économiste libéral allemand, qui va dans la même direction.

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  • "Comment certains pays de la zone euro en sont-ils arrivés là ? Le lancement d'une monnaie unique sans davantage d'intégration politique ou économique, idée des plus saugrenues, a certainement joué un rôle, au-delà même des transgressions financières incontestablement commises par des pays comme la Grèce et le Portugal" (Juin 2011)

    Amartya Sen, Prix Nobel


    "Pour le moment, la zone euro en est au point où un divorce à l'amiable est peut-être préférable à des années de déclin économique et de mésentente politique." (Décembre 2010)

    Dani Rodrick, professeur à Harvard

     

    "La zone euro sous sa forme actuelle ne peut plus vraiment être sauvée ; l’euro survivra, mais la zone devra se rétrécir" (2011)

     Robert Skidelsky professeur à l'Université de Warwick


     

     

    Voir les articles  :

    Demain, une Europe morcelée ?, Harold James - Juin 2012

    L’euro dans une zone sur le point de se rétrécir, Robert Skidelsky - Décembre 2011

    A la reconquête de notre démocratie, Par Amartya Sen - Juin 2011

    L'inévitable éclatement de l'euro, par Dani Rodrik - Décembre 2010

     

    Pour les textes de Stiglitz, c'est là

     Pour ceux  de Krugman, c'est ici

     Pour ceux de Roubini, c'est ici

     Pour ceux de Roggoff, c'est ici

       Pour ceux de Soros , c'est ici

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  • Qualifié (ironiquement) de "prophète" par certains parce qu'il aurait vu venir la crise des subprimes, Nouriel Roubini, n'est en fait qu'un observateur lucide des évènements qui se déroulent sous ses yeux. Peu téméraire, il préconisait en 2007, de réformer à la marge le système financier sans oser remettre en cause la mondialisation :

    "Il paraît difficile d’inverser la tendance à la libéralisation des marchés financiers, mais leurs effets secondaires négatifs – dont le risque systémique plus élevé – requièrent une série de réformes" (2007)


    Mais devant l'ampleur du choc mondial, il doit se rendre à l'évidence, c'est le modèle même de ce capitalisme financier qui est défaillant :

    "Il semble donc que Karl Marx avait au moins partiellement raison en disant que la mondialisation et l'intermédiation financière risquaient d'échapper à tout contrôle et que la redistribution des revenus et de la richesse tirée du travail au profit du capital pouvait conduire à l'autodestruction du capitalisme (...)  

    Le bon fonctionnement d'une économie de marché suppose un juste équilibre entre les marchés et les biens publics" (2010)


    Il faut dès lors porter un regard critique sur la révolution libérale de ces 30 dernières années durant lesquelles a été balayé le modèle social précisément institué en réponse à la grande dépression des années 30 :

    "Mais durant la période Reagan-Thatcher on a perdu de vue la nécessité d'une règlementation prudentielle du système financier, les défauts du modèle social européen ayant été l'une des causes de la tendance à une déréglementation massive.(...)

    Mais le modèle anglo-saxon du laissez-faire a lui aussi misérablement échoué." (2011)


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  • "Au lieu de restructurer le fardeau manifestement intenable de la dette du Portugal, de l'Irlande et de la Grèce (les PIG), les responsables politiques veulent établir des plans de sauvetage toujours plus importants sous des conditions d'austérité de moins en moins réalistes. Et malheureusement ils passent à l'action" (Septembre 2011)

    Il est devenu de plus en plus clair, au moins pour les grands pays, que les zones monétaires seront extrêmement instables à l’avenir, à moins qu’elles ne suivent les frontières nationales (...) l’euro pourrait ne pas passer le cap même de cette décennie."(Avril 2012)

    Kenneth Rogoff, ancien économiste en chef du FMI et professeur à Harvard

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